OSAE

Les politiques agricoles et alimentaires dans la presse tunisienne

Revue de la presse tunisienne du mois de juin 2018

Par Aymen Amayed

Dans un contexte socio-économique difficile, la Tunisie peine à trouver son équilibre dans le secteur vital de la politique agricole et alimentaire dont les résultats sont loin d’être encourageants. Cette revue de presse tente de faire le point sur les différentes informations principales couvertes par la presse tunisienne pendant le mois de juin 2018.

Saison céréalière 2018 ratée, encore une fois.

La Tunisie, étant un des plus grands consommateurs mondiaux de céréales (à peu près 200kg/an/personne en 2016)i, essaie d’augmenter sa production mais reste désespérément dépendante des importations de ses besoins alimentaires. Pour la saison 2017-2018, le ministère prétend, pourtant, avoir mis tous les moyens disponibles afin de réussir cette compagne agricole. Mais on constate un recul des surfaces cultivées en blé qui étaient de 1,150 millions d’hectares ensemencés en 2017 (82% de la superficie programmée) contre 1.240 millions lors de la compagne précédente. Le blé dur et l’orge représentent respectivement 46% et 45% de la superficie totale ensemencée, le reste étant occupé par blé tendre et le triticale. En présentant son bilan le 8 mars 2018, Samir Betaieb, le Ministère de l’agriculture des ressources hydriques et de la pêche,  a précisé que dans le cadre des préparatifs de la saison céréalière 2017-2018, le ministère dont il est responsable  a mis à disposition des agriculteurs 159 mille tonnes d’Ammonitre, dont 20 milles tonnes proviennent du Groupe Chimique Tunisiens, couvrant ainsi 856 milles ha. Le traitement herbicide quant à lui a couvert 368 mille ha, toujours d’après le ministreii.

Toutefois, comme l’a annoncé Ezzedine Choghlef, le directeur de la production agricole au ministère de l’agriculture, le 4 juin 2018, la récolte sera moins bonne que la saison précédente et ne sera donc pas à la hauteur de l’investissement et des moyens mis en œuvre qui visaient une production totale de 19 millions de quintaux de céréales, soit 42 quintaux/ha en moyenne. Les prévisions pour cette compagne atteignent à peine 14,3 millions quintaux dont 9,233 million de quintaux de blé dur, 1,193 millions de quintaux de blé tendre, 3,627 millions de quintaux d’orges et 308 mille quintaux de triticaleiii.

Pour expliquer ces chiffres décevants, le ministère met en cause le déficit hydrique sur les régions céréalières du Kef et de Séliana et aussi la baisse de production à Zaghouan et dans les gouvernorats du centreiv. Les explications donné par le ministère de l’agriculture restent cependant peu précises et dévoilent une stratégie faible et peu étudiée. Le déficit hydrique des régions du Kef et de Séliana signé remonte à 2017 où les précipitations étaient en baissev, ce qui aurait dû être pris en considération pour les préparatifs de la compagne céréalière de 2018. Par ailleurs, les préparatifs pour cette saison de 2018 comportaient : 203 journées d’information, 41 séances de démonstrations et de pratiques, 3 parcelles pilotes, 30.000 interventions à l’échelle régionale et 86 journées d’informations et de formation à l’échelle nationale impliquant ministère, CRDA, formateurs et experts de la FAO, coopérative centrale du blé et instituts de recherches spécialisés en grandes cultures, Radios locales et nationales et spots publicitairesvi. Une armada de mesures et de préparatifs qui n’ont pas pris en compte un des facteurs les plus déterminants de l’agriculture qui est la ressource hydrique.

Selon les chiffres de la FAO publiés sur son site officielvii 3.7 millions de tonnes de céréales pour cette saison seront importées par la Tunisie, soit à peu près le même niveau que l’an dernier et proche de la moyenne quinquennale.

Il serait alors grand temps que le ministère de l’agriculture repense ces choix et stratégies. Il faudrait opter pour une vision plus contextuelle en essayant d’instaurer une gestion non exhaustive de la terre et qui prend en compte tous les facteurs intervenants et surtout le facteur hydrique. Il serait aussi impératif de s’engager dans une politique de souveraineté alimentaire nous permettant d’être indépendant du marché des céréales.

Intensification de la production agricole et création de périmètres irrigués : Stratégies de l’état ou directives internationales ?

L’export des produits agricoles tunisiens qui constitue une source de devises étrangères sur laquelle le gouvernement compte beaucoup, se porte plutôt bien, semble-t-ilviii. Ces produits agricoles exportés sont en grande partie l’huile d’olive, les primeurs et hors saisons (légumes frais et fruits : Dattes, pêches, agrumes et autres)ix pour la plupart fortement exigeants en eau. De ce fait, le gouvernement tunisien, comme l’a rappelé le ministre Samir Betaieb au cours d’un point de presse tenu au palais du gouvernement à la Kasbah le 2 mars 2018x, mise sur la création de nouveaux périmètres irrigués et sur l’exploitation de toutes les ressources hydriques possibles. Le ministre a annoncé que le projet d’intensification de l’agriculture irriguée commencera dans les grands périmètres irrigués publics des gouvernorats du nord (Jendouba, Béja, Bizerte, Siliana, Nabeul) et ceux de Sfax pour un coût total de 436 millions de dinars en 2019xi. De nouveaux périmètres irrigués vont être aussi implantés à Tataouine, s’étendant sur mille hectares dont 420 ha dans les vallées entourant Remada et 580 ha dans la région de Borj Bourguibaxii. Le ministère de l’agriculture vise la maîtrise de 95% des eaux mobilisables qui sont estimées à 2,7 milliards de mètres cubesxiii (mais qui sont plutôt de l’ordre de  4,6 milliards /m3)xiv Ce point de presse résume la stratégie non raisonnée de l’état tunisien par rapport aux ressources hydriques, la situation devient encore plus alarmante et va nécessairement accroître le rythme d’appauvrissement hydrique.

Les hausses des exportations des produits agricoles tunisiens ont été enregistrées pour plusieurs produits comme l’huile d’olive qui a enregistré une augmentation de 168.31% en termes de valeur et de 149.53% en termes de quantité par rapport à la même période de 2017xv. Selon les chiffres du ministère de l’agriculture, les légumes frais eux, particulièrement tomates sous serres et irriguées par les eaux géothermales, ont connu une augmentation de la recette d’exportations atteignant 54% avec une valeur de 121 millions de dinars (MDT) xvi. Les dattes biologiques, quant à elles, ont enregistré une hausse de 45% en valeur et 26% en volumexvii.

Toutefois, Le gouvernement ne semble regarder que le déficit de la balance alimentaire en baisse pour cette année 2018 (219.3 Million DT)xviii et ne voit surtout pas les répercussions énormes et graves, sur les nappes hydriques, mais aussi sur les petits agriculteurs marginalisés par ces stratégies d’intensificationxix.

La pénurie d’eau est un fait et des solutions s’imposent !

La stratégie de l’eau à l’horizon 2050 en Tunisie permettra d’adopter une nouvelle approche pour une gouvernance intégrée de l’eau, basée sur la gestion de la demande et non pas la gestion de l’offre”, a déclaré le ministre de l’Agriculture Samir Betaieb au journal « African Manager» le 28 juin 2018 xx. Une gestion équitable et durable de l’eau, c’est ce que prétend assurer le gouvernement. Cependant il n’y a ni durabilité ni équité dans le fait de fournir de l’eau à volonté pour les grands investisseurs agricoles qui produisent pour le marché extérieur et de laisser des miettes aux petits agriculteurs. Les paysans, auxquels le ministère de l’agriculture distribue de l’eau à « l’heure », devraient être le point focal des stratégies agricoles et hydrauliques. Promouvoir cette catégorie d’agriculteurs (disposant de moins de 10 ha et représentant 75% du nombre total d’exploitationsxxi), c’est promouvoir l’agriculture familiale et durable, alors que promouvoir les grands investisseurs (exploitations dont la superficie dépasse 50 Ha, représentent 3% du nombre d’exploitations et accaparent 34% des superficies agricolesxxii) c’est maintenir la dépendance alimentaire du pays.

Cette stratégie de l’eau à l’horizon 2050, a été approuvée le 20 juin 2016xxiii par les organismes qui vont la financer, entre autres, la banque de développement allemande KfW (0.95 million d’euros), la coopération technique allemande GIZ (281 milles euros), Facilité Africaine de l’eau (1.345 million d’euros) et le gouvernement tunisien (79mille euros)). Une stratégie nationale fortement appuyée par l’étranger n’est certainement pas faite pour subvenir aux besoins des petits agriculteurs.

La Tunisie, dont la précarité de la ressource hydrique devient inquiétante, a besoin de stratégies claires et bien étudiées. Le problème n’est ni la gestion ni l’application technique, mais plutôt un manque de vision et de volonté politique. Tant que Le gouvernement tunisien ne voit l’agriculture que comme une source de devises étrangères et non pas comme un moyen de souveraineté et un pilier permettant au peuple d’être souverain et de décider lui-même de son avenir, la situation ne fera qu’empirer. Le paysan se verra de plus en plus marginalisé et dépossédé de ses ressources par ces mêmes investisseurs auquel le pouvoir apporte un soutien illimité.

 

i Institut National de Statistiques (INS), Bulletin de consommation 2016, N° 1 Décembre 2016.
http://www.ins.nat.tn/sites/default/files/publication/pdf/Bulletin%20-cons-2016-fr2-2.pdf

ii Rédaction de webmanagercente.com, Tunisie: Plus de 1 million d’hectares de superficies ensemencées en céréales, 8 Mars 2018.
https://www.webmanagercenter.com/2018/03/08/417049/tunisie-les-superficies-ensemencees-en-cereales-ont-atteint-1150-million-dhectares/

iii Rédaction de webmanagercente.com avec TAP, Tunisie: La récolte céréalière ne dépassera pas les 14,3 millions de quintaux (saison 2017/2018), 4 Juin 2018.
https://www.webmanagercenter.com/2018/06/04/420698/tunisie-la-recolte-cerealiere-ne-depassera-pas-les-143-millions-de-quintaux-saison-20172018/

iv Rédaction de webmanagercente.com avec TAP, Tunisie: La récolte céréalière ne dépassera pas les 14,3 millions de quintaux (saison 2017/2018), 4 Juin 2018.
https://www.webmanagercenter.com/2018/06/04/420698/tunisie-la-recolte-cerealiere-ne-depassera-pas-les-143-millions-de-quintaux-saison-20172018/

v Ministère de l’agriculture, des ressources hydraulique et de la pêche, Observatoire nationale de l’agriculture.
http://www.onagri.nat.tn/pluviometrie

vi Ministère de l’agriculture, des ressources hydraulique et de la pêche, site officiel, 19 Juin 2018.
http://www.agriculture.tn/?p=7251

viii Flehetna, Légumes frais: Augmentation des recettes d’exportation de 54%, 16 Juin 2018.

ix Agence ecofin.com, Tunisie: les exportations agricoles ont généré 439 millions $ sur les deux premiers mois de 2018, 9 Mars 2018
https://www.agenceecofin.com/commerce/0903-55098-tunisie-les-exportations-agricoles-ont-genere-439-millions-sur-les-deux-premiers-mois-de-2018

x Flehetna, Cap sur les grands projets de l’agriculture, 5 Mars 2018
http://flehetna.com/fr/cap-sur-les-grands-projets-de-lagriculture

xi Flehetna, Cap sur les grands projets de l’agriculture, 5 Mars 2018
http://flehetna.com/fr/cap-sur-les-grands-projets-de-lagriculture

xii Flehetna, Cap sur les grands projets de l’agriculture, 5 Mars 2018
http://flehetna.com/fr/cap-sur-les-grands-projets-de-lagriculture

xiii Le Temps, Ressources hydrauliques: Stoker 95% des eaux mobilisables, 4 Mars
http://www.letemps.com.tn/article/107089/ressources-hydrauliques-stocker-95-des-eaux-mobilisables

xiv Abdallah Cherif 2003 « Le problème de l’eau en Tunisie nord-orientale: besoins, ressources locales et transferts inter-régionaux», Eau et environnement : TUNISIE ET MILIEUX MÉDITERRANÉENS p. 53-61.
https://books.openedition.org/enseditions/867

xv Ministère de l’agriculture, des ressources hydraulique et de la pêche, site officiel, 13 Juillet 2018.
http://www.agriculture.tn/?p=7484

xvi Flehetna, Légumes frais: Augmentation des recettes d’exportation de 54%, 16 Juin 2018
http://www.flehetna.com/fr/legumes-frais-augmentation-des-recettes-dexportation-de-54

xvii Flehetna, Exportations des dattes bio: Hasse de 45% en valeur et de 26% en volume, 1 Juin 2018
http://www.flehetna.com/fr/exportations-des-dattes-bio-hausse-de-45-en-valeur-et-26-en-volume

xviii Imen Zine, L’économiste Maghrébien, Tunisie: balance alimentaire excédentaire de 219,3 MDT à fin mai 2018, 12 Juin 2016.
https://www.leconomistemaghrebin.com/2018/06/12/actualite-tunisie-balance-alimentaire/

xix Flehetna, Cap sur les grands projets de l’agriculture, 5 Mars 2018.
http://flehetna.com/fr/cap-sur-les-grands-projets-de-lagriculture

xx African Manager, La stratégie de l’eau 2050 permettra d’adopter une nouvelle approche pour une gouvernance intégrée de l’eau, 28 Juin 2018.
https://africanmanager.com/la-strategie-de-leau-2050-permettra-dadopter-une-nouvelle-approche-pour-une-gouvernance-integree-de-leau/

xxiONAGRI, Enquête sur les Structures des Exploitations Agricoles 2004-2005, 2006.
http://www.onagri.nat.tn/uploads/divers/enquetes-structures/index.htm

xxii ONAGRI, Enquête sur les Structures des Exploitations Agricoles 2004-2005, 2006.
http://www.onagri.nat.tn/uploads/divers/enquetes-structures/index.htm

xxiii Groupe de la Banque Africaine de Développement, Tunisie – Élaboration de la vision et de la stratégie eau 2050, 24 Juillet 2018. http://projectsportal.afdb.org/dataportal/VProject/show/P-TN-EAZ-004?lang=fr

 

Aymen Amayed, Research Assistant and environmental activist.