L’observatoire de la Souveraineté Alimentaire et de l’Environnement (OSAE) se mobilise contre le des dérèglements climatiques et s’engage dans le combat collectif contre les conséquences prévisibles du changement climatique et pour la souveraineté alimentaire réelle, la justice environnementale et climatique et la dignité sociale.
La Tunisie, comme la plus grande partie du grand Sud, est exposée aux pires conséquences des changements climatiques en cours. Ces phénomènes principalement induits par les économies du Nord qui concentrent le capital, les technologies, les industries y compris les plus polluantes, l’énergie et l’agriculture intensive et industrielle, touchent déjà les pays du sud aussi qui ne disposent pas des moyens de protection contre les grandes catastrophes « climatiques ». Faut-il se contenter de répéter avec certains et certaines que « n’étant pas directement responsables des changements climatiques, nous n’avons aucune obligation face à ces dangers » ? A OSAE, nous pensons que de telles positions inconscientes, irresponsables, voire criminelles relèvent d’une démarche suicidaire. Face à l’incendie, l’obligation d’agir est générale même quand la responsabilité est individuelle. Ainsi, nous avons décidé d’agir avec nos moyens matériels et intellectuels actuels et sans attendre telle ou telle « opportunité » et/ou convergence et nous nous sommes fixés, comme objectif, de publier dans un délai raisonnable, un projet agricole alternatif qui prendra la forme d’un « Nouveau Deal Vert Agricole Tunisien ».
L’agriculture tunisienne comme celles de l’ensemble des pays du Sud se caractérise, entre autres, par deux facteurs qui en déterminent l’évolution depuis plusieurs dizaines d’années et menacent son avenir proche et plus lointain. Le premier facteur est sa structuration depuis la période coloniale sur le principe de la sécurité alimentaire basée sur le concept des avantages comparatifs : Produire des produits agricoles destinés à l’export, tels que les fruits et légumes hors saison et les produits qui ne se cultivent pas dans les pays acheteurs (dates, huile d’olives…) pour pouvoir importer des produits alimentaires de base, dont les céréales. Cette agriculture a déjà montré ses limites et ses risques. D’une part, elle est directement dépendante d’un marché agricole et alimentaire mondial sur lequel les pays dépendants n’ont pratiquement aucun moyen d’influence, ni à la vente ni à l’achat. Trop petits pour intervenir sur les prix mondiaux et trop alimentairement dépendants pour négocier les prix d’achat. Dépendantes et soumises aux mécanismes du marché libéral, ces agricultures en subissent les soubresauts qui se traduisent localement par des crises alimentaires comme celle de 2007-2008, dont les conséquences furent parfois dramatiques.
Le deuxième facteur est le fait que ces agricultures, déjà fragiles, dépendantes et dépourvues de mécanismes propres de « protection », soient les plus exposées aux risques considérables des dérèglements climatiques de plus en plus accélérées et dont on voit déjà les dimensions (successions dramatiques de phénomènes météorologiques jusqu’ici rares ou inconnues) et les possibles conséquences sur la production agricole et alimentaire mais aussi sur les modes d’organisations sociales. Craintes et plus ou moins envisagées comme hypothèses probables, il y a à peine quelques années, les migrations climatiques sont devenues des réalités fréquentes et massives. Les centaines de milliers de personnes qui affrontent le Sahara ou la Méditerranée et les zones de guerre tel que le Yemen (des centaines de Somaliens et de somaliennes tentent de traverser la Mer Rouge vers le Yémen, déjà soumis à une guerre particulièrement meurtrière que lui livrent l’Arabie Saoudite et ses amis du Nord comme du Sud) dans l’espoir de rejoindre la rive sud de l’Europe, sont, en grande partie, des réfugiés climatiques dépossédés de leurs droits d’accès aux ressources naturelles et à l’alimentation saine et suffisante.
En même temps, il est désormais prouvé que l’agriculture industrielle et extractiviste participe massivement à alimenter les mécanismes du dérèglement climatique. Certes, toutes les agricultures ne participent pas de la même manière et au même niveau à ces processus. La production de dioxyde de carbone qui est à l’origine du dérèglement du climat est proportionnellement liée à l’intensification de la production : plus l’agriculture est intensive et mécanisée, plus sa contribution carbone est élevée. C’est d’autant plus condamnable, au moins sur le plan climatique, que plus l’agriculture est intensive, plus elle est liée au marché mondial et donc directement liée à la dépendance alimentaire et/ou agricole de la plus large partie de la population mondiale. Par l’énergie utilisée pour la production et au transport, par ses relations avec les marchés financiers mondiaux et par la nature même de ses produits, l’agriculture capitaliste est, en quelque sorte, directement responsable des bouleversements climatiques en cours et des catastrophes qu’ils induisent. Parmi tant d’autres activités agricoles, l’élevage intensif qui se développe partout dans le monde y compris dans les régions arides telles que le sud tunisien, est directement responsable d’environ 20 % de la production mondiale de dioxyde de carbone et donc du dérèglement climatique.
Par ailleurs, contrairement à ce que beaucoup d’acteurs assurent, et tout en rappelant que la grande part de responsabilité dans les processus climatiques en cours incombent d’abord aux pays industrialisés et aux agricultures intensives du Nord, cela ne justifie pas que les pays du Sud se sentent affranchis des obligations collectives en vue de limiter sinon arrêter les dérèglements en cours. Cela ne justifie pas non plus d’ignorer que quels qu’en soient les responsables, les premières victimes sont les habitants du Sud. Ne pas en tenir compte c’est à la fois une fuite en avant et une irresponsabilité collective suicidaire.
Par conséquent, le temps est venu de changer radicalement de direction et de système de production agricole vers une agriculture doublement responsable qui doit se concentrer sur deux objectifs principaux : 1) produire prioritairement pour nourrir la totalité de la population d’une manière juste, suffisante, saine et respectueuse du goût. C’est possible, c’est juste et ça relève de la responsabilité du producteur et du consommateur envers la protection de l’environnement, de la biodiversité et de la planète ; 2) produire d’une manière responsable avec le souci permanent de réduire massivement et rapidement la production de dioxyde de carbone et de protéger la biodiversité et, donc, les droits légitimes des générations futures.
Mais il est aussi urgent de passer de l’indispensable débat à l’action parce que les conséquences du dérèglement climatique sont déjà visibles et de plus en plus souvent de manières dramatiques. Il est, désormais, temps de faire avancer le débat vers la formulation d’initiatives et d’alternatives radicales aux politiques actuelles.
Certes, il existe déjà plusieurs initiatives et propositions importantes qui s’insèrent parfaitement dans ce débat sur les questions agricoles, alimentaires et environnementales/écologiques. Les expériences de permaculture et de productions « organiques » ou biologiques se multiplient un peu partout dans le pays. Mais, au delà des difficultés et des limites de ces diverses et riches expériences, on ne peut que constater que malgré leur intérêt et même leur relatif effet d’entraînement, ça reste loin d’être suffisant face à l’énormité des effets du changement climatique. Plus que des retouches et des corrections, le secteur agricole a besoin d’une redéfinition et d’une réorientation radicalement opposées à celles du modèle actuel dont on connaît les conséquences dramatiques sur la biodiversité, les ressources naturelles et les conditions sociales des paysanneries, généralement dépossédées de leurs biens et de leurs savoirs, voire de leur dignité d’être.
Parce que à OSAE nous pensons que notre responsabilité individuelle et collective envers la société doit dépasser la simple revendication politique, la production et la diffusion des connaissances et les débats de société que nous essayons d’ouvrir et/ou de développer, nous prenons l’initiative de « construire », en collaboration avec d’autres, une proposition radicale qui se limite, certes, au secteur agricole élargi aux ressources hydrauliques et à la biodiversité végétale et animale…
Dans cette proposition d’un nouveau deal agricole, nous nous intéresserons à l’ensemble des questions et thématiques : Des semences et variétés locales aux politiques de l’eau en passant par l’irrigation, l’export import des produits agricoles, l’investissement agricole, la mécanisation, l’élevage… et le foncier.
A titre d’exemple, dans l’axe foncier nous proposerons une réforme agraire radicale fixant un plafond maximum et un seuil minimum de de la propriété foncière de manière à éviter les risques de concentration d’un côté et l’émiettement de l’autre. De même, nous détaillerons une politique hydraulique qui rompt définitivement avec les politiques actuelles et se base sur la nécessité de limiter l’irrigation à des cultures alimentaires de saison….
Cette première étape pourra être complétée, comme on l’espère, par d’autres propositions convergentes couvrant d’autres domaines tels que l’énergie, l’industrie, l’urbanisme, les transports, les relations internationales…, pour ne mentionner que quelques secteurs clés des activités et politiques économiques.
Le choix de se limiter au secteur agricole se base sur deux raisons principales : a) OSAE ne dispose ni des compétences ni des moyens de couvrir l’ensemble des secteurs économiques, sociaux et politiques ; b) Face à l’urgence, il nous a semblé urgent de ne plus attendre de réunir les moyens et des compétences pour proposer des solutions ambitieuses, réalisables et audacieuses pour une nouvelle politique agricole et environnementale, résolument orientée vers la justice sociale et la protection de la vie, qui mérite d’être célébrée à chaque instant, et contre le capital parasite et destructeur de la vie. Cette proposition, nous la ferons d’une manière responsable, méthodique, sérieuse et rigoureuse. Pour cela, nous tacherons de nourrir le débat par la multiplication de rencontres, séminaires, ateliers, visites, publications, appels à des spécialistes des questions débattues, accumulations de données quantitatives et statistiques, sans oublier la lecture et la documentation générale et ciblée… Ainsi, le projet pour une agriculture alternative que nous préparons sera la synthèse d’un ensemble d’activités programmées sur l’année 2020 et débordera certainement sur la première moitié de l’année 2021.
Est-il, enfin, nécessaire de préciser que si l’OSAE prend l’initiative d’ouvrir ce grand chantier de construction d’un projet de politiques agricoles cohérentes et dont l’objectif est de contribuer collectivement à la « décarbonation » de la production, nous ne revendiquons aucun monopole sur la question des conséquences du dérèglement climatique, qui mérite plus d’initiatives et dont les enjeux ne supportent aucune compétition et encore moins des prétentions de monopole. L’urgence est d’agir. Notre intention est de faire notre « part du travail » en espérant que d’autres en fassent autant pour répondre, chacun.e à son niveau et en fonction de ses moyens, aux risques infinis des changements climatiques dont les premiers signes sont d’une ampleur terrifiante.
A OSAE, notre seule ambition est de mettre nos réflexions et discours en cohérence avec nos obligations citoyennes. Pendant ce temps de construction du projet, toutes nos « portes » resteront ouvertes à toutes personnes et organisations qui souhaitent se joindre à nous pour enrichir le débat, contribuer à la construction du projet alternatif et le co-porter dans toutes ses étapes.
The Observatory of Food Sovereignty and the Environment (OSAE) is mobilizing against climactic disruption and its consequences – those already visible, and those which are foreseeable. It is engaged in a collective fight for real food sovereignty, environmental and climate justice, and social dignity.
Tunisia, like most of the global South, is exposed to the worst consequences of ongoing climate change. These phenomena have been largely triggered by the economies of the North, which concentrate the most capital, technology, and industries, including the most polluting among them, and which use the most energy and the most industrialized and intensive agriculture. And Tunisia, as with most of the global South, lacks means of protection against such “climactic” disasters.
Shall we echo those who claim that “not being directly responsible for climate change, we do not have obligations to face these dangers?” At OSAE, we believe that such unconscionable, irresponsible and indeed criminal propositions are suicidal. Faced with this conflagration, the obligation to act falls upon all, even if responsibility does not. Therefore, OSAE has decided to act, using its current materials and intellectuals means, and without waiting for some imaginary or ideal “opportunity” and/or convergence for these ideas. We set ourselves the goal to produce and publish, within a reasonable time, an alternative agricultural project in the form of a Tunisian Agrarian Green New Deal.
Two main factors have characterized Tunisian agriculture, as well as agriculture in other Global South countries, shaping their evolution over the decades, and threatening them in the near and more distant futures.
The first factor is that since the colonial period, agriculture has been structured according to the principle of food security based on the concept of comparative advantage. This entails the export of agricultural products such as out-of-season fruits and vegetables, and products which are not produced in importing countries, such as dates and olive oil, in order to import basic food products, such as cereals.
These agricultural policies have already shown their limits and perils. On the one hand, they make Tunisian agriculture directly dependant on the global agricultural and food market, on which southern countries have practically no influence. They are too small to influence world prices and too dependent on food imports to negotiate purchasing prices. Dependent and subject to the mechanisms of the market, these types of agriculture suffer ongoing jolts, which materialize locally as food crises that may have dramatic consequences, as it was the case in 2007-2008.
The second factor is related to the fact that southern countries, already fragile, dependent and lacking proper “protection” mechanisms, are the most vulnerable to the considerable risks of accelerating climate change. The dimensions of these processes are already visible – for example, heretofore rare or unknown dramatic sequences of meteorological phenomena. We have begun to see their possible consequences on agricultural and food production, and on the modes of social organization.
Just a few years ago, climate-induced migrations were essentially imagined as likely hypotheses. They have now become a reality of considerable magnitude. Hundreds of thousands of people cross the Sahara or the Mediterranean and flee war zones such as Yemen (and contrariwise, every week hundreds of Somalis try to cross the Red Sea towards Yemen, already subjected by Saudi Arabia and its northern and southern partners to a particularly deadly war) in the hope of reaching the southern shores of Europe. These are largely climate refugees, dispossessed of their rights of access to natural resources as well as healthy and sufficient food.
At the same time, industrial and extractivist agriculture has massively fuelled climate change. As mentioned above, not all agricultures are responsible in the same way and at the same level for these processes. In fact, the production of carbon dioxide, which is the cause of climate change, is proportionally linked to the intensification of production. The more intensive and mechanized the agriculture, the higher its carbon contribution. This is all the more condemnable, at least on the climatic level, since the more intensive is the agriculture, the more it is integrated into the world market, and by extension directly linked to the food and/or agricultural dependence of the largest portion of the world’s population. Through the energy used for production and transport, and through its relations with the world financial markets, and by the very nature of its products, capitalist agriculture contributes directly to the current climatic upheavals and disasters. Among many other agricultural activities, intensive livestock farming developing the world over, including in arid regions such as southern Tunisia, is directly responsible for around 20 percent of global carbon dioxide production and, therefore, for climate change.
Contrary to what many actors claim, and notwithstanding the industrialized northern countries’ great share of responsibility for the climate crisis, a reduced level of carbon emission does not exempt countries from the South from the collective obligations of limiting, if not stopping, the ongoing crisis. Nor does it justify ignoring that its first victims are the peoples of the South. To ignore this is at the same time a fuite en avant and a suicidal collective irresponsibility.
Consequently, it is time to radically change the orientation and overall agricultural system towards an agriculture which is accountable in two senses. First, the priority in production ought to be feeding the entire population in a fair, sufficient, and healthy way, respectful of “genuine” tastes. It is possible. It is just. And it is the responsibility of producer and consumer alike to protect the environment, biodiversity, and the planet. Second, it must produce responsibly with the aim of massively and rapidly reducing carbon dioxide production and protecting biodiversity and therefore the legitimate rights of future generations.
It is also urgent to move from the indispensable debate onto action as the consequences of climate change are already materializing more and more often in dramatic ways. It is time to move the debate forward towards the formulation of radical initiatives and alternatives to current policies.
There are already several important initiatives and proposals that feed into the debate on agricultural, food and environmental/ecological issues. Instances of permaculture and “organic” production increasing everywhere in the country bear witness to the efforts and willingness of many actors to address the challenges posed by climate change. Notwithstanding the ripple effects of these initiatives, a closer observation reveals how these attempts are not enough to exhaustively tackle the multiple challenges of climate change. Rather than course adjustments and small corrections, the agricultural sector needs a radical redefinition. It needs to be oriented towards countering the current model and its known-to-be dramatic consequences on biodiversity, natural resources and the social conditions of the peasantry, who have broadly been dispossessed of their property, their knowledge, and, indeed, of their dignity.
At OSAE, we believe that our individual and collective responsibility towards society must go beyond simple political demands, the production and dissemination of knowledge, and the social debates that we are trying to develop. For this reason, we are taking the initiative to build, in collaboration with others, a radical proposal that focuses on the agricultural sector and is extended to hydraulic resources and to plant and animal biodiversity.
In this proposal for a new agricultural deal, we will focus on questions and themes ranging from seeds and local varieties of flora and fauna, to water policies through irrigation, the export-import of agricultural products, agricultural investment, mechanization, livestock – and land.
For example, on the question of land, we will propose a radical land reform setting a maximum ceiling and a minimum threshold of land ownership to avoid the risks of concentration on one side and fragmentation on the other. Similarly, we will detail a water policy that breaks definitively with current policies and is based on the need to limit irrigation to food and seasonal crops.
This first stage could be supplemented, we hope, by other convergent proposals covering other fields, such as energy, industry, town planning, transport, international relations, to mention only some key sectors of economic activity and policy.
The choice to limit ourselves to the agricultural sector is based on two main reasons: a) OSAE has neither the competencies nor the means to cover all economic, social and political sectors; b) faced with an emergency, it seems urgent to us to wait no longer to mobilize the means and skills to propose ambitious, achievable, and daring solutions for a new agricultural and environmental policy, resolutely oriented towards social justice and the protection of life, which ought to be celebrated in every moment – and against parasitic and life-destroying capital.
We will carry forward this proposition in as responsible, rigorous, methodical, and serious way as is possible. OSAE will try to feed the debate through the multiplication of meetings, seminars, workshops, field visits, publications, calls for specialists (consultancies) on specific questions, the accumulation of quantitative and statistical data, without forgetting general and targeted documentation. The project for an alternative agriculture that we are preparing will be the synthesis of a set of activities programmed for 2020 and will certainly extend into the first half of 2021.
Finally, we must add one clarification. While OSAE is taking the initiative to build a project aimed at formulating coherent agricultural policies to collectively contribute to the “decarbonization” of production, it does not claim any monopoly on the question of climate change. We believe that the question deserves more initiatives and the involvement of multiple stakeholders. It is urgent to act. Our intention is to do our “share of the work,” hoping that others will do the same according to their knowledge and means, amidst the infinite threat of climate change whose first signs are terrifying in scale.
At OSAE, our only ambition is to put our reflections and speeches in line with and to make them coherent with our civic obligations. OSAE keeps its doors open to all people and organizations that wish to join and enrich the debate, contributing to the construction of an alternative project, and to together bring it forward from one step to the next.