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Une lecture politique de la sécurité alimentaire de l’Algérie et du Liban

  • Une lecture politique de la sécurité alimentaire de l’Algérie et du Liban

    Par : Omar Bessaoud

    Économiste agricole – CIHEAM – Montpellier
    Professeur associé à l’Université Libanaise (Beyrouth)

    Les crises, qu’elles soient de nature économique, financière, sanitaire ou politique, ont cette capacité à rendre plus lisible ou visible les vulnérabilités ou les menaces alimentaires qui se profilent dans les pays concernés. Il en a été ainsi de la crise sanitaire dans un certain nombre de pays d’Europe qui ont mesuré les effets des délocalisations de leurs productions agricoles. Les appels à une souveraineté alimentaire impliquant des politiques agricoles nationales volontaristes et le retour vers des systèmes alimentaires territorialisés ont été affiché par les milieux agricoles, les organisations de la société civile et politique et les cercles académiques. La FAO, le PAM et toutes les organisations des Nations-Unis ont, pour leur part, multiplié les alertes relatives à une crise alimentaire, voire une famine, pouvant affecter les pays pauvres et l’Afrique en particulier.

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Des systèmes rentiers et prédateurs remis en question en Algérie comme au Liban

Des études avaient évoqué avant l’explosion, les risques alimentaires au Liban avec le prix moyen du panier qui avait plus que doublé ces six derniers mois suite à la crise économique et sanitaire. Même si le terme de « famine » est actuellement inapproprié pour évoquer le cas libanais, la FAO (l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) a classé en juillet dernier le Liban parmi les 27 pays les plus « menacés par une crise alimentaire suite au Covid-19 ».  

L’Algérie, tout comme le Liban aujourd’hui frappé de plein fouet dans son cœur économique après l’explosion du port du mardi 4 août, sont, du fait de leur forte dépendance aux importations alimentaires fortement exposés aux risques d’une crise alimentaire qui peut menacer à la fois leur cohésion sociale et leur avenir politique.

La nature de leur système économique rentier caractérisé par un secteur informel et des règles de fonctionnement propre à un capitalisme prédateur, et son lot de corruption et de pillage des ressources internes (via les banques publiques et privées, les importations et la spéculation foncière et immobilière), sont dénoncées par la rue, depuis février 2019 en Algérie, et depuis octobre dernier au Liban avec les mêmes slogans- « système dégage »- et les mêmes revendications politiques. Lors des premières manifestations, les libanais ont fait naturellement fait référence au hirak algérien ; ils ne se sont pas privé de brandir le drapeau algérien, dans les deux principaux foyers de la contestation, à la Place des martyrs à Beyrouth, ou à Tripoli dans le nord du pays. Tout au début, ce mouvement populaire, deux revendications majeures ont rassemblé une majorité de jeunes libanais nés après la guerre civile (1975-1990) ; d’une part, l’abolition d’un système politique fondé sur le communautarisme religieux, et d’autre part, la lutte contre la corruption et le jugement des oligarques et des responsables de la faillite financière du pays.

Tout comme l’Algérie, ce mouvement est traversé par des courants politiques aux intérêts opposés : d’un côté, des groupes islamiques, des partisans des forces libanaises d’extrême droite, des partisans de Hariri et quelques ONGs « droits-de-l’hommistes», de l’autre, des forces progressistes – des nationalistes aux communistes exprimant plus radicalement leur opposition au système ultra-libéral à l’origine du pillage économique du pays et aux oligarchies constituées. Tout comme en Algérie, cette hétérogénéité explique l’absence d’organisation et de direction unitaire.

La question qui divise actuellement profondément le mouvement de contestation populaire et le fragilise, est focalisée sur le rôle et la place à attribuer au parti Hezbollah sur la scène politique libanaise. Depuis la démission du premier ministre Saad Hariri, des forces politiques présentes dans le mouvement populaire ont pour cible principal le parti Hezbollah dont ils réclament le désarmement politique et militaire.

Il faut rappeler que le Hezbollah avait beaucoup gagné en influence politique au Liban depuis la fin de la guerre civile. Rassemblant un population chiite en pleine croissance démographique, il a représenté aux yeux d’une majorité de libanais le parti de la résistance à Israël, la force qui a joué un rôle décisif dans la guerre en Syrie, et qui in fine a constitué le principal facteur de sécurité et de stabilité de l’Etat national libanais, en alliance étroite avec le bloc du Changement et de la réforme conduit par le Courant patriotique libre de Michel Aoun. Le socle sur lequel a été bâti l’Etat libanais est davantage ébranlé, suite à la démission du gouvernement de Hassan Diab ; c’est l’existence même de l’Etat national qui est gravement menacée.

A quelques nuances près, les mêmes clivages – islamistes et nationalistes-conservateurs d’un côté, forces démocratiques et progressistes de l’autre- se retrouvent dans le hirak en Algérie. Les réponses des pouvoirs en place sont, comme on le sait, peu ou prou similaires : contrôle étroit et/ou répression dirigée contre des leaders, inertie politique et/ou absence de transformations profondes des systèmes politiques et économiques.

Il convient enfin d’évoquer les conflits régionaux et enjeux géopolitiques (la guerre en Syrie, le conflit israélo-palestinien pour le Liban, la guerre au Sahel et le conflit Libyen pour l’Algérie) qui viennent sérieusement compliquer les situations politiques dans les deux pays.

Le rappel de ces faits invite à des analyses croisées entre les deux pays. Le focus portera sur la sécurité alimentaire, une question clé qui affecte la vie quotidienne des populations. 

 

Le contexte politique et économique libanais

Si sur le fond des crises économiques et de leurs racines, des rapprochements peuvent être pertinents, des spécificités peuvent être aussi évoquées. 

Il faut rappeler en premier lieu, que le Liban a été mis à l’épreuve par une guerre civile particulièrement meurtrière (1975-1990), des occupations du pays par Israël (1978), des destructions massives suite à la guerre imposée par ce même pays en 2006, ou des conflits régionaux (Palestine, Irak et plus récemment la Syrie) et leurs lots de réfugiés et d’exilés. En deuxième lieu, la fin du mandat français et l’accès à indépendance du pays en 1943 repose comme nous le savons sur un partage des pouvoirs entre les communautés religieuses du pays (chrétiens, musulmans sunnites et chiites, druzes…). Ce système politique et institutionnel de nature confessionnelle, que les accords de Taëf ont consolidé en 1989, sera reconduit. Le pacte politique sera fondé sur une alliance stratégique entre des fractions chrétiennes maronites (Michel Aoun et des fractions éclairées de la bourgeoisie libanaise), le parti Hezbollah de Nasrallah (chiites) allié au parti Amel, parti laïc de Nabih Berri (chiites), et une opposition regroupée dans l’alliance du 14 mars, représentée par Saad Hariri (courant du Futur, représentant en partie les sunnites). 

Sur le plan économique, après les accords de Taëf d’octobre 1989, Rafic Hariri et ses alliés (appuyés par l’Arabie Saoudite) ont mis en place, un système économique ultra-libéral assis, d’une part, sur un secteur des services (le commerce en particulier), le tourisme, et d’autre part, sur un système financier et bancaire hypertrophié. La spéculation immobilière et financière issu du système économique a favorisé le pillage par une élite oligarchique des ressources foncières (affecté aux sociétés immobilières), économiques et financières du pays. Ce n’est pas par hasard, que les premières manifestations populaires de l’automne dernier, se sont déroulé également devant le siège de la Banque du Liban dans le célèbre quartier Hamra de Beyrouth. « Comme l’a signalé l’économiste libanais Georges Corm, la crise économique au Liban fut « le résultat de plus de trente années de politique économique fondée sur un » capitalisme de rente” doublée d’une politique de libre-échange sans considération pour les industries nationales »[1].   

Ce pays fait face depuis longtemps, à un déficit des services publics (approvisionnement en eau et en électricité, gestion des déchets urbains, santé publique, éducation), une dette extérieure abyssale (d’un montant de 92 milliards de dollars, soit environ 170% de son produit intérieur brut),  un accroissement de la pauvreté (près de 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté), du chômage (évalué à plus de 30% de la population active), un effondrement de la Livre libanaise (en quelques mois on est passé de la parité un dollar pour 1 500 livres à près de 10 000 livres).

En raison de la forte dépendance de l’agriculture libanaise pour les intrants et équipements, la dépréciation de la livre libanaise conjugué à la baisse des importations contribue à l’augmentation des coûts de production et des prix de marché des produits agricoles. Il a été observé plus récemment à une forte baisse du pouvoir d’achat des populations, conséquence d’une inflation des produits alimentaires importés (près de 110% entre septembre 2019 et mai 2020).

L’explosion et la destruction des installations du port de Beyrouth le 4 août dernier ainsi que la poursuite des protestations populaires (paralysant l’action du gouvernement) sont venus aggraver une situation. Elle précipite aujourd’hui le pays dans l’incertitude, et l’on s’interroge aujourd’hui à juste raison sur les capacités de l’Etat national à apporter une réponse adéquate pour améliorer la vie quotidienne des libanais. Si la situation alimentaire est encore maitrisée à Beyrouth, qui regroupe avec sa périphérie plus de 40% de la population libanaise, la question de l’approvisionnement en produits alimentaires risque à l’avenir de se poser avec acuité.  

 

La dépendance alimentaire du Liban

Tout comme l’Algérie, le Liban est fortement dépendant (de 70 à 80%) des importations alimentaires pour couvrir les besoins de base de sa population. Il importe farine, sucre, huiles alimentaires, viandes et produits laitiers. La production céréalière nationale couvre moins de 15 % de la consommation et la quasi-totalité des produits transformés par le secteur de l’agroalimentaire proviennent de l’extérieur du pays. Plus de 2 milliards de dollars sont affectés aux importations pour une population évaluée aujourd’hui à 6 millions d’habitants (soit plus de 330 dollars/habitant et par an contre moins de 200 dollars en moyenne annuelle pour le consommateur algérien). Comparé à l’Algérie, le niveau des exportations agricoles est plus élevé (plus de 500 millions de dollars en moyenne contre moins de 200 millions de dollars pour l’Algérie).

Les causes de cette forte dépendance alimentaire sont multiples : des ressources limitées à 250 000 ha de terres cultivables (insuffisamment exploitées mais irriguées à concurrence de 50%), un potentiel en eau mal mobilisé (le Mont-Liban situé à proximité de la mer est un véritable château d’eau irriguant les plaines adjacentes), et des interventions publiques qui n’ont accordé qu’une modeste place à l’agriculture. Les premières actions de politique publique agricole post-conflit civil (1990) datent de 2010 avec deux plans de développement de l’agriculture (2010-2014, 2015-2019) qui ont été initiés[2]

Le Liban, dont une partie des terres fait partie du croissant fertile (la plaine de la Bekâa et le Akkar sont aujourd’hui les principaux bassins de production agricole du pays), qui a été un vecteur de diffusion en Méditerranée occidentale des cultures de l’olivier, du figuier, de la vigne, du grenadier…et qui approvisionnait (en agrumes, fruits, légumes miel, lait…) encore dans les années 1950-60 les pays du Golfe, est devenu, par un paradoxe que seule l’histoire nous réserve, un pays fortement dépendant sur le plan alimentaire.

Le Liban qui recensait une population rurale relativement importante dans les années 1960. Cette dernière représentait encore plus de 40% de la population totale contre un peu plus de 10% aujourd’hui[3]. Pionnier dans la transition démographique dans le monde arabe, il est ainsi dans les années 2000, le pays arabe le plus urbanisé de la région méditerranéenne. Les indicateurs relatifs au taux d’actifs agricoles (moins de 5%), et la part de l’agriculture dans le produit intérieur (3,3% du PIB) enregistrés en en 2017 se rapprochent plus de ceux que l‘on observe généralement dans les pays développés.

La guerre civile a constitué un tournant dans l’histoire agricole et rurale de ce pays. Elle a en effet, profondément bouleversé l’économie agricole en impactant les infrastructures et le capital productif agricole, mais également en accélérant les mouvements d’exode des populations paysannes. Pendant le conflit, des régions (celles du sud-Liban par exemple occupées par Israël jusqu’en mai 2000) ont vu leurs activités agricoles totalement bouleversées et leurs territoires ruraux être dévitalisés. La plaine de la Bekaa- berceau des cultures méditerranéennes- figurait durant cette période comme une région leader dans le monde pour la culture du cannabis. Par ailleurs, les techniques financières utilisées (et définies sous le vocable de financial engineering) avaient fini par décourager tout investissement dans un secteur agricole de loin moins rémunérateur que le secteur bancaire. 

Il est nécessaire enfin d’évoquer l’afflux depuis 2012 de près de 2 millions de réfugiés syriens. Une partie d’entre eux ont certes été sont pris en charge par les organisations internationales (HCR) et ont bénéficié de l’aide du Programme Alimentaire Mondial ; d’autres réfugiés d’origine rurale et paysanne ont pu être employés comme salariés ou métayers dans les exploitations agricoles libanaises. Cette main d’œuvre agricole a apporté un capital de savoir-faire agricole et d’expériences mis au service d’une exploitation plus intensive de terres agricoles insuffisamment cultivées, voire abandonnées. Il suffit de parcourir les régions qui vont de Beyrouth à Sour (Tyr), celle de la Bekaa, de Baalbeck-Hermel ou du Nord du pays, pour observer les progrès dans la mise en culture et la valorisation des terres entreprises ces dernières années, 

 

De quoi sera fait l’avenir alimentaire du Liban ?

Le Liban résume à lui seul tous les risques alimentaires susceptibles d’affecter les pays en situation de crise économique et financière, où marqué par l’instabilité politique et/ou par des risques de conflits régionaux. A ce titre, et même si les situations concrètes diffèrent sensiblement avec l’Algérie, ce qui peut se dérouler dans ce pays peut être plein d’enseignements pour l’avenir alimentaire de l’Algérie.

Le Liban a-t-il les moyens nécessaires à son approvisionnement ?
Si la chaine des approvisionnements a été sérieusement ébranlée, des marges de manœuvre existent encore et les problèmes rencontrés ne sont pas insurmontables. L’expérience des opérateurs commerciaux du Liban, leur connaissance du potentiel et des opportunités d’approvisionnement sur le marché mondial sont des atouts majeurs.

Pour autant qu’ils soient consacrés à satisfaire les besoins des populations, et non à payer les créanciers, et sous réserve de mettre fin aux transferts des ressources devises à l’extérieur, les réserves de change évaluées actuellement à 20 milliards de dollars permettent encore au pays d’importer sur le court terme des produits alimentaires[4]. Des nouvelles règles et procédures d’importation, proches de celles que l’Etat algérien mobilise depuis longtemps, ont été prises par le gouvernement en mai dernier afin d’assurer les approvisionnements alimentaires : une liste de 300 produits alimentaires (un « panier alimentaire élargi ») a été arrêtée et les importateurs et les producteurs libanais peuvent obtenir, via leurs banques et auprès de la Banque du Liban, des dollars à un taux dollar/livre imposé par la Banque du Liban différent du taux du marché (3 900 livres pour un dollar)[5]. Ce mécanisme, qui a pour ambition de limiter l’inflation sur un panier de denrées alimentaires fixé administrativement et d’approvisionner l’agriculture et les IAA en matières premières, est actif depuis le mois de juillet dernier.

Concernant la chaine d’approvisionnement, les risques de rupture sont largement contrôlés. Le port de Tripoli mais aussi les ports de Saida, Selaata et Jiyeh peuvent, comme le soutiennent les autorités locales, prendre le relai du port de Beyrouth. Ces ports sont équipés en infrastructures de stockage et les circuits de distribution et de commercialisation sont restés intacts dans le reste du pays. Restera à l’autorité publique de lutter contre les comportements spéculatifs des opérateurs privés, et à acheminer ces produits vers les territoires de montagne, les « zones d’ombre » et/ou les villages isolés.

Face aux menaces qui se profilent, comme dans tous les pays qui ont été affecté par des crises (qu’elles économiques, financières ou sanitaires), les populations locales font timidement un retour vers la terre et sont davantage incité à mobiliser leurs propres ressources internes. Des communautés villageoises et des populations péri-urbaines exploitent déjà des jardins potagers, plantent des arbres fruitiers et développent des petits élevages.

En cas d’aggravation de la situation alimentaire, les populations du Liban pourront également compter sur une très forte diaspora. Cette dernière, présente dans le monde entier, a conservé des liens très forts, non seulement avec son pays, mais aussi avec les régions rurales auxquelles elle continue de s’identifier. Cette diaspora transfert de l’argent à des réseaux familiaux qui est affecté pour couvrir des besoins de consommation, pour améliorer le cadre de vie ou à consolider les propriétés agricoles familiales ou le tissu économique local[6]. Les libanais de Beyrouth ou des régions intérieures pourront ainsi s’appuyer sur ce gisement financier que représentent ces transferts afin de contribuer à une résilience des familles et à la sécurité alimentaire de leurs territoires.

Le Liban bénéficie enfin dans le monde entier d’un capital de sympathie conjugué à une diplomatie économique et culturelle lui permettant aussi de bénéficier de l’aide internationale. Présente dans le pays depuis l’exode palestinien de 1948 pour assurer les besoins alimentaires des réfugiés, cette aide peut être utilement mobilisée pour assurer les approvisionnements alimentaires des couches les plus vulnérables de la population.

Il reste entendu que l’issue la plus souhaitable réside dans la relance des capacités productives nationales et la mise en place d’un modèle de croissance agricole orienté fondamentalement vers la satisfaction des besoins de ses populations et la reconquête d’une souveraineté alimentaire nationale.

Ce modèle de croissance devra être traduit par une politique agricole davantage articulé avec son marché intérieur, mobilisant massivement des investissements publics, améliorant les revenus des petits exploitants familiaux qui sont majoritaires dans le pays. Cette politique agricole devrait être fondée sur une préservation des ressources naturelles du pays, une réduction de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur pour ses intrants (matériel génétique et animal) et ses équipements, et qui substitue enfin à l’économie de rente, une économie agricole réellement productive[7].

L’instabilité politique et les conflits régionaux : source d’incertitudes
L’incertitude politique dans lequel est plongé le pays depuis la démission du gouvernement dirigé par Hassan Diab, pèsera lourdement sur l’avenir alimentaire du pays. Le vide institutionnel et politique, que ne peut encore combler le mouvement de contestation en cours, retarde un processus de négociation avec le FMI pour restructurer la dette extérieure, et faire bénéficier le pays de prêts dont il a besoin dans l’immédiat. 

L’incertitude politique porte également sur le devenir du mouvement populaire enclenché en octobre dernier, ses orientations futures et les forces qui le dirigeront.

Le pacte résultant des accords de Taëf sera-t-il reconduit ? Quelles alliances politiques seront nouées et regroupant quelles forces politiques ?  Quelles réponses seront-elles apportées à la crise économique et financière (aggravée par la crise sanitaire) ? La réponse à ces questions sera révélatrice des modes de résolution de la crise et de ses issues. 

A ces questions qui scelleront à terme l’avenir du Liban, il convient d’évoquer l’évolution du contexte régional. Le Liban n’est en effet pas à l’abri d’interventions étrangères. Au prétexte de réduire l’influence politique du parti Hezbollah, des pressions sont exercées par les Etats-Unis.  Des sanctions économiques ou des mesures d’embargo alimentaire qui déjà appliquées par les Etats-Unis en Syrie, risquent d’être élargies au Liban. Ces mesures auront (est-il nécessaire de le signaler ?), un impact désastreux sur la situation économique et alimentaire du pays.

En prévision même de ces pressions et d’une possible exacerbation des conflits dans la région, le parti Hezbollah appelle aujourd’hui, à une révision de la politique commerciale en privilégiant les liens de coopération avec l’Irak, l’Iran, la Russie et la Chine. Ce même Parti invite, par ailleurs, ses partisans à une « résistance alimentaire » en développant des jardins potagers dans les périphéries des villes et en exploitant toutes les parcelles cultivables du pays, d’autre part.

 

En guise de conclusion

L’Algérie affronte en définitive, les mêmes défis et se trouve confronté aux mêmes problématiques de sécurité et souveraineté alimentaires que le Liban.

Même si l’Etat national algérien est encore debout, que la crise économique et financière n’a pas atteint le degré de gravité que celui du Liban, les mêmes incertitudes sur l’avenir persistent, et rien n’interdit de penser dans les mêmes termes les menaces et risques alimentaires auxquelles sera confronté l’Algérie.

Parce que les deux peuples sont unis par une communauté de destin, il conviendra dès lors de suivre avec attention le chemin politique que le Liban empruntera, les changements qu’il sera en capacité de mettre en œuvre, les difficultés auxquelles il se heurtera, et d’en tirer utilement les leçons.

Montpellier le 21 août 2020

 

Notes :

[1] Corm, G (2020). Relancer les capacités productives du Liban. Le commerce. Le magazine de l’économie et des affaires du Levant. Publié le 8 janvier 2020. Il écrit « grâce à la parité de la livre libanaise avec la devise américaine, on empruntait des dollars à 6 ou 7% pour les échanger contre des bons du Trésor dont les taux en livres libanaises ont atteint pas loin de 40% en 1995 : une machine à sous scandaleuse qui est à l’origine de l’accumulation de la dette publique ». Analysant les causes du «hirak» libanais qui remettait en question « la classe politique corrompue », Georges Corm voyait « des ressemblances entre la situation algérienne et celle du Liban ». Interview au quotidien El Watan du 5 novembre 2019.

[2] Ils ont été centrés sur le renforcement du cadre législatif et réglementaire du secteur, l’encadrement technique et la vulgarisation agricole et l’amélioration de la qualité sanitaire des produits exportés. Les ressources affectées aux investissements pour renforcer les infrastructures agricoles, l’équipement ou la protection des ressources naturelles ont été insuffisantes. 

[3] Le taux de ruralité n’était en 2017 que de Liban 11,6% et la population rurale était en déclin avec une croissance de la population négative (- 0,6%).  Source : FAO. 2018. World food and agriculture – Statistical pocketbook 2018. Rome.   254 p   

[4] Le dernier ministre de l’économie affirmait au lendemain de l’explosion du port de Beyrouth que, « les besoins de son pays pour assurer la sécurité alimentaire devaient être d’au moins trois mois », et «  qu’il n’y a pas de crise du pain ou de la farine. Nous avons suffisamment de stock et de bateaux en route pour couvrir les besoins du Liban sur le long terme ».

[5] Le taux sur le marché parallèle se situe dans une fourchette de 8 500 à 10 000 livres pour un dollar contre 1 500 livre il y a moins d’un an.

[6] Les transferts nets (flux entrants-flux sortants) sont évalués entre 3 et 3,5 milliards de dollars par an au cours des dernières années et ont constitué près de 9% du PIB. Une étude réalisée par l’Observatoire universitaire de la réalité socioéconomique (Ourse) de l’Université Saint-Joseph, et portant sur un échantillon de 2000 personnes, note que 20% d’entre elles reçoivent des fonds émanant d’un expatrié.

[7] Voir notre étude sur l’agriculture familiale à petite échelle au Proche-Orient et Afrique du Nord. Pays focus: Liban. Rapport- FAO-2017