Sur les traces d’une Oasis disparue
Par : Mohamed Mahdi
Sociologue Ruraliste, CRESC-TARGA, Rabat
Images : Ernest Riva
Dans le programme de la Summer School 2022, organisée par l’Observatoire de la Souveraineté Alimentaire et de l’Environnement, sur le thème des « Changements Climatiques, Insécurités Alimentaires et Crises Sociales » figure une visite de terrain à Jerba intitulée : « Sur les traces d’une oasis disparue ». Ce titre évocateur m’a interpellé. Je venais juste de visionner deux vidéos sur la source bleue de Meski à Er-Rachidia au Maroc, l’une qui la montrait dans toute sa splendeur, avec son paysage oasien envoutant, ses eaux bleues qui coulent à flot, des campeurs qui s’y baignaient ; et l’autre vidéo qui dévoile la même source dans sa complète désolation, asséchée et désertée par les visiteurs : la source bleue de Meski a disparu, il n’en reste plus que des traces consternantes. Je suis également un peu au fait de la situation de dégradation des oasis de la vallée du Draa dans le Sud/Est du Maroc, que les populations oasiennes maintiennent, par je ne sais quel miracle, sous perfusion. Je me suis efforcé dans un journal[1] de décrire les dynamiques sociales, économiques, techniques et écologiques des Oasis dans la vallée du Draa dans le Sud-Est du Maroc ; pour relever tous les actes de résistance des oasiens pour maintenir en vie leurs oasis. Nos amis tunisiens entendent nous faire visiter une Oasis disparue. J’attendais avec impatience la visite de cette Oasis pour faire le constat de cette disparition.
Les visites, organisées dans le cadre de la Summer School, quatre jours de terrain, concernent, en fait, plusieurs oasis et offrent aux participants des portraits contrastés et complémentaires sur la diversité de leur destin. C’est un voyage dans le temps qui retrace l’histoire des oasis depuis leurs prospérités jusqu’à leur déclin, voir leur disparition.
Notre tournée commença par l’Oasis de Chenini, qui fait partie d’un chapelet d’Oasis de Gabès, une grande Oasis côtière, unique au monde, nous apprend notre guide Mabrouk qui ajoute que « la Tunisie jouit d’une diversité d’oasis : côtières, continentales et montagnardes », avant de se lancer dans des explications sur le genre de vie de l’Oasis de Chenini et sur son rythme saisonnier. Les oasiens séjournent dans l’oasis, dite Ghaba, en automne/hiver. (photo) A partir du printemps, ils transhument dans la steppe, près de leur troupeaux et de leur parcelles cultivées en céréales. C’est la transhumance agricole[2]; les Oasiens se gavent de lait, de brebis et de ses dérivés tandis que leur troupeaux bénéficient des parcours de la steppe et des chaumes après les moissons. À la fin de cette transhumance les oasiens regagnent leur Oasis mais sans leurs troupeaux qui demeurent dans la steppe.
[1] https://www.academia.edu/76853347/JOURNAL_DUN_SÉJOUR_DANS_LA_VALLÉE_DU_MOYEN_DRAA_Mohamed_Mahdi
[2] J’ai observé cette transhumance, début des années 90, chez les Houara/Oulad Rahou dans la plaine de Fahama dans le Maroc oriental.
Actuellement, et partout au Maghreb, ces parcours steppiques sont en phase de perdre leur vocation pastorale. Autour des oasis, de grandes étendues de terres de parcours sont valorisées. De nouvelles terres agricoles sont ainsi créées, qu’on appelle improprement « les extensions des oasis ». Ce sont des fronts pionniers qui se sont développés depuis le Maroc jusqu’en Égypte en passant par l’Algérie et la Tunisie, donnant lieu à une agriculture steppique développée par des ‘’investisseurs’’ qui accaparent les terres et les transforment en grandes fermes cultivées en palmiers dattiers, maraichage, arbres fruitiers, conduits en mode intensif à l’aide de l’irrigation à partir des eaux souterraines ... En face, les oasis dépérissent.
La tournée dans l’oasis de Chenini nous révéla les maux communs aux Oasis, je dirai maghrébins.
En 1991, les sources de Ras El Oued, dont les eaux coulaient dans l’Oued Gabès et irriguaient l’Oasis de Chenini, ont tari. L’Oasis est, depuis, privée de quelques 750 l/s dont elle bénéficiait jadis et que ne peuvent compenser les 150 l/s obtenus du forage effectué en amont pour fournir en eau la cimenterie. Ainsi, les tours d’eau qui revenaient tous les 15 jours sont portés à deux mois ; longue attente pour arroser les arbres dont beaucoup souffrent de soif et finissent par rendre l’âme. Des agriculteurs désespèrent, abandonnent l’agriculture ou, pire encore, vendent leurs terres, préférant tenter leur chance ailleurs à travers une migration incertaine. D’autres résistent et continuent, bon gré mal gré, à entretenir les quelques 350 ha de terres cultivable sur les 2000 ha emblavés auparavant et qui faisaient la renommée de cette Oasis. L’Oasis de Chenini, et les Oasis de façon générale, sont connues par leur système de cultures à trois étages : le palmier en haut, au milieu les arbres fruitiers et au ras du sol les légumineuses, la luzerne, le henné ... Actuellement, ce système est entré dans une phase d’hybridation avec l’apparition de l’olivier et de l’élevage de stabulation, le bovin en l’occurrence. Devant la crise de l’eau, des oasiens bravent le règlement et les interdits en creusant des puits pour continuer à entretenir leur culture.
Mais la menace la plus grave qui atteint l’âme et l’identité de l’oasis est l’avancée à pas de géant de l’urbanisation qui rase les terres agricoles et dénature le paysage oasien. Des citadins nantis profitent de la crise des oasis et des oasiens pour acquérir, à prix modique, des terrains constructibles. Ainsi, observe -t- on des maisons, parfois somptueuses, qui poussent comme des champignons, un peu partout et de façon anarchique, dans une sorte de concurrence de vocation qu’elles disputent aux terres de culture.
Mabrouk attire notre attention sur un murier ; on en voit en effet quelques-uns par ci, par là. Il enchaine : « Gabès fabriquait de la soie d’après un témoignage de Pline ». Voilà qui enracine Gabès dans l’histoire antique.
Chenini a accusé de nombreux coups mais elle résiste et pourrait même exprimer son potentiel de production agricole et de vie rurale si des quantités d’eau supplémentaires lui étaient allouées. Ici, j’extrapole en pensant à la tragédie des oasis maghrébins et à toutes ces eaux souterraines mobilisées au profit des nouveaux périmètres autour de ces mêmes oasis et où se développe une agriculture à caractère minier qui se sait non durable. Ces eaux, qui seraient exploitées dans une proportion moindre par l’agriculture oasienne qu’elles ne le sont aujourd’hui par l’agriculture intensive, pourraient revitaliser ces oasis dans leur dimensions complexes : humaines, écologiques, culturelles et patrimoniales. Des gains inestimables pour les oasiens et pour les collectivités nationales. Mais ce n’est là, peut-être, qu’une chimère ?
Nous poursuivons notre exploration par la visite de l’ancienne Oasis Zrig. L’adjectif ‘’ancienne’’ nous place en mode has been. À première vue, Zrig est un centre urbain qui ressemble à des milliers de centres urbains émergeants de nos pays. Nous traversons sa rue principale, fourmillante de monde et encombrée de véhicules en stationnement ou en circulation. Des deux côtés de l’artère se dressent des maisons à deux, trois ou même quatre étages, témoins d’une urbanisation en progrès. L’alignement des maisons est parfois rompu par un terrain vague, non bâti ; c’est une parcelle témoin de l’existence de l’Oasis, nous explique Habib. Son propriétaire attend l’envolée des prix pour la céder. Les terrains agricoles de l’oasis font l’objet de la spéculation foncière. En fait, l’artère principale transperce l’ancienne oasis par le milieu. Derrière les façades offertes par les habitations, donnant sur la rue principale et se dressant comme un écran, se trouve « l’arrière-pays » de l’artère. Habib nous invite à y pénétrer. Là, de nombreuses parcelles attendent d’être sacrifiées sur l’autel de l’urbanisme. Dans le même esprit spéculatif, leurs propriétaires guettent les meilleures opportunités pour les céder.
Mais l’histoire de l’urbanisation de Zrig mérite d’être rapportée dans ses grandes lignes telle que racontée par notre guide. Tout est parti de l’initiative d’un ‘’promoteur’’ qui tenait une petite entreprise de matériaux de construction et qui eut l’idée d’acquérir des parcelles dans l’oasis et de les revendre avec des facilités à la condition que l’acquéreur se fournisse chez lui en matériaux pour construire. Son offre attira de nombreux acheteurs parmi les notables, les militaires, les familles de la classe moyenne, des émigrés. Le succès de ce partenariat contribua à l’essor urbain de l’oasis de Zrig devenue actuellement un quartier de Gabès.
La visite des Oasis de Ghannouch et celle de l’ex-oasis de Chatt Essalam confirment le sort dramatique des oasis de Gabès. La population de l’ Oasis de Ghannouch vit de l’agriculture et de la pêche artisanale. Leur oasis souffre de la pollution chimique et de la raréfaction de l’eau que les paysans tentent de résoudre en creusant des puits malgré les interdictions administratives. Efforts vains, leurs palmiers dépérissent. Actuellement, conclut notre guide, ils ne sont ni agriculteurs, ni pêcheurs. Et pour cause. Nous les avons rencontrés dans leur petit village de pêcheurs et nous les avons observés dans leur effort collectif de sortir leur filet de la mer. Une trentaine de pêcheurs, jeunes et moins jeunes, unissant leur effort pour tirer le filet enfoncé à plus de deux kilomètres au large. Deux heures de peine pour rien. Le filet finit par déverser un tas de crabes, signe de la pollution marine. Difficile de soutenir la déception inscrite sur le visage des pêcheurs ; nous quittâmes le petit village attristés par le sort de ces pêcheurs et du drame de la pêche artisanale.
Chatt Essalam était une oasis située au bord de la mer, ‘’pied dans l’eau’’ ; un havre de paix qui, aujourd’hui, porte mal son nom, depuis qu’une usine chimique s’est dressée à côté et tel un dragon crache sur l’oasis ses pollutions de l’air, de l’eau et du sable. La zone, où se situe l’oasis, est victime d’un modèle de développement qui, actuellement, met la population, les acteurs de la société civile devant un dilemme cornélien. La population de Chatt Essalam qui dépend pour sa survie du travail à l’usine supporte impuissante les affres d’une vie insalubre et préjudiciable à sa santé[3]. Faute d’alternative et victime d’inhibition, la population est prise en otage dans ce quartier où elle est exposée aux pollutions olfactives, de l’eau et du sable, qui l’assiègent de toute part et finira par l’asphyxier.
[3] Film Gabès Labess. Habib Ayeb
Nous arrivons à notre dernier jour de terrain et partons sur les traces de l’oasis de Djerba sous les éclairages de Habib. Djerba était une Oasis irriguée, actuellement disparue, nous dit Habib. La démonstration de cette existence est attestée par un titre foncier d’une parcelle, datant de 1956, et qui décrit ce lieu-dit, Tamalal Al Malah, comme un Jnane ou Manzal. L’oasis était, en effet, organisée en Manzal, qui est une unité socio-économique formée d’un groupe familial et de ses Khammès, de terres de culture, d’un puit pour les besoins de consommation domestique et pour l’irrigation, d’un peu de bétail où trônait le dromadaire qui remplissait des fonctions multiples. Le groupe familial et ses métayers vivaient dans le même Manzal, dans des logements séparés. Les khammès, qui s’occupaient de l’ensemble des travaux agricoles, étaient payés à part de récolte (céréales, dattes, huile d’olive ...) Les cultures étaient conduites suivant un système de damiers alternant carré de cultures irrigués (arbres fruitiers, légumineuses, palmiers) et carré de cultures secs (baali) et où étaient cultivées oliviers, céréales, fèves…
Quand on quitte la route asphaltée pour emprunter d’étroits chemins de sable qui serpentent entre les maisons, l’œil non exercé ne peut aucunement soupçonner les traces d’un paysage oasien. Ces chemins sont, en fait, des Jadda qui, jadis, séparaient les propriétés des Manzal, et sur lesquelles sont aujourd’hui bâties de somptueuses demeures. Entre les Manzal, nous découvrons des Sabils, des réservoirs en forme d’impluvium, sans propriétaires, nous apprend notre guide, édifiés par des bienfaiteurs ou par la communauté et mis au service des membres de cette même communauté et des gens de passage, d’où probablement ils tirent leur nom de Sabil, qui veut dire chemin.
Nous poursuivons notre quête qui prend l’aspect d’une exploration archéologique. Nous découvrons de nombreux anciens sites : puits et système d’exhaure d’eau, séguias, témoins d’une civilisation hydraulique, ; des cimetières, mosquées et mausolées qui indiquent la place du religieux chez les oasiens ; un atelier de tissage qui révèle un autre aspect des activités des oasiens; des aires de séchage des dattes, des sabils encore fonctionnels maintenus dans un état de propreté étonnant par respect des règles sociales quasi religieuses. Des ruines et des édifices encore debout, attestent de l’existence, dans un passé proche, d’une civilisation oasienne agraire florissante, dont on entrevoit, par ci par là, quelques traces encore. Mais ces traces constituent autant de signaux d’alerte qui préviennent des dangers imminents qui les guettent et qui les menacent d’une complète disparition jusqu’à leurs souvenirs si rien n’est fait pour leur conservation. Autour de ces traces ou sur leur site naturel émerge progressivement un ‘’paysage de construit’’. Des particuliers ont élu ce lieu pour y édifier, selon leurs fortunes, des maisons modernes, principales ou secondaires, transformant l’ancienne oasis en cité, en blocs de béton, construits sans plan d’aménagement urbain.
Les explications données par Habib aussi enrichissantes qu’elles furent, n’en étaient pas moins déprimantes. Nous en venions à réclamer des chutes de récits un peu plus agréables. Souhait improbable à contenter face aux réalités amères des oasis. De nos pérégrinations, nous sommes sortis agacés par le sombre tableau de toutes ces ‘’Oasis dans le mouroir’’, des systèmes agropastoraux en déclin et jusqu’à la pêche artisanale trop en souffrance.
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L’association ‘’Le pêcheur’’ pour le développement et l’environnement nous a accueilli et donné une captivante présentation sur la pêche artisanale qui complète la triste image de ce village des pêcheurs (oasis Ghannouchi) en amplifiant sa dimension tragique.
La pêche artisanale ne fait pas le poids face à la pêche intensive et à la concurrence des chalutiers venus d’Italie et de la Lybie qui ne respectent ni calibre des espèces à pêcher, ni cycles de leur reproduction. Et la pollution d’une usine de plastique qui rejette des produits chimiques directement à la mer aggrave la situation et contribue à la raréfaction du poisson et notamment des éponges qui ont fait la renommée de Zarsis. La raréfaction de l’éponge, voir sa disparition, est, selon les pêcheurs, un indicateur des effets du changement climatique sur les espèces marines ; à contrario son existence témoigne de la bonne santé du fond marin.
Les pêcheurs semblent avoir développé une forte conscience des causes multiples qui ont affecté leur écosystème marin et parviennent à isoler les causes anthropiques des causes climatiques. Ils mettent en cause la surpêche, la pollution marine du fait de l’industrie (les usines du golf du Gabès qui rejettent leurs produits chimiques directement à la mer), l’élévation de la température de l’eau en raison du changement climatique. La biodiversité marine en sort très affectée. Plus de posidonie, cette plante à fleurs marine présente uniquement en Méditerranée et qui la symbolise au même titre que l’olivier. Contrairement à l’agriculteur qui explique la catastrophe écologique par l’immoralisme des contemporains et leur abandon des valeurs qui cimentaient leurs communautés et appelait sur eux la grâce divine, le pêcheur est plus sensible aux effets produits par les actions matérielles de l’homme et de son irresponsabilité. Ils sont aussi très conscients des effets des politiques publiques sur leurs conditions de travail et de vie. Concurrencés, écrasés par les barons de la pêche intensive, qui de surcroît bénéficient de subventions et aides étatiques de leur pays (aides structurelles pour la pêche).
Je veux terminer par quelques mots sur l’humanisme des pêcheurs. Nous étions très touchés par cette fin émouvante de la rencontre où les pêcheurs nous ont parlé de leur nouvelle fonction de sauveteur depuis que la Méditerranée est devenue un cimetière de migrants. Porter secours aux noyés et aux naufragés fait partie de l’éthique du pêcheur ; ne jamais laisser d’autres pêcheurs périr en mer, les sauver ou repêcher leur cadavre et honorer leur inhumation. Cela découle d’un principe de solidarité devant tout naufrage d’un bateau : le devoir humain prend le pas sur l’activité de pêche.
À l’instar des oasiens, les pêcheurs se rappellent et regrettent les temps fastes et de l’abondance. Nous parvenons à un même constat : du fait de la dégradation de leurs écosystèmes, les oasiens, les agropasteurs (présenté par le cas de Matmata visité), les pêcheurs artisanaux, ne produisent plus assez d’aliments pour se nourrir et contribuer à nourrir la collectivité. Tous sont égaux devant les effets dévastateurs du changement climatique.
En guise de conclusion
Le choix d’avoir aménagé quatre jours de terrain et de les avoir placés tout au début du programme de la Summer School s’est avéré judicieux. Les séances en salle ont, par la suite, révélé des participants théoriquement très outillés sur les thématiques de la rencontre. Mais les visites ont permis de nourrir la théorie par la pratique ; en descendant au ras des pâquerettes, en allant à la rencontre des territoires et des hommes et en percevant directement la manière dont ces territoires et ces hommes subissent les effets du changement climatique et vivent la crise sociale. Ce furent des temps forts pour s’exercer à l’empirisme, vérifier les manifestations des thématiques de la Summer School sur le vécu des ruraux, établir un contact direct avec le sol, sentir de plus près la chose rurale, observer, écouter et s’imprégner des récits sur l’évolution des systèmes agraires, saisir les signes de leur déclin, encore visibles dans l’espace ou du moins dans la mémoire.
Les visites, les rencontres avec les personnes directement concernées, les observations, les explications fournies confirment par le menu détail, et par le concret des cas et des situations, toute la détresse des écosystèmes terrestres agricoles et aquatiques. Les signes et les traces de leur déclin, voire de leur disparition sont encore visibles, parfois submergés par le sable ou enfouis sous le béton armé. Au début tout n’était qu’ oasis. Actuellement, des cités (quartiers) se substituent aux Oasis en accaparant leurs sites. C’est le sort réservé à toutes nos terres agricoles situées à l’orée des villes et fatalement absorbées par l’appétit sans limite des promoteurs fonciers et de l’urbanisation. Il suffit qu’elle soit intégrées, par simple décision administrative, dans le périmètre constructible. L’avancée de l’urbanisation est un fait inéluctable, inévitable, sauf que là elle rencontre sur son chemin les Oasis, qu’elle engloutit. Est-ce le sort de toutes nos Oasis de disparaitre un jour ? Qu’est-ce que nous perdons en tant que collectivité nationale, mondiale avec la disparition des Oasis ?
Nous nous sommes exercés à une sorte d’archéologie des oasis pour découvrir les vestiges de leur civilisation matérielle et le patrimoine technologique d’une civilisation hydraulique faite d’un riche arsenal de savoirs et de savoir-faire. La disparition d’un écosystème (oasien en l’occurrence) c’est la disparition de tous ces savoirs et savoir-faire, la disparition d’une mémoire, son effacement du ras du sol, la perte d’un pan du patrimoine d’un pays et du monde. Les visites nous ont, en effet, beaucoup appris sur les savoirs et savoir-faire paysans et sur les dangers qui les menacent ; elles nous alertent sur l’urgence de les documenter pour les préserver et les transmettre. Elles nous rappellent la dimension patrimoniale des systèmes oasiens et agropastoraux. La visite de la maison familiale de Habib à Demmer, fut un moment de s’instruire sur un autre aspect des savoirs et savoir-faire : l’art de bâtir les habitations des paysans agropasteurs, presque sans matériaux et simplement en creusant le sol. Des habitations souterraines qui célèbrent une ancienne architecture troglodyte[4]. Ou encore l’architecture de Ksar Jouamaa, qui rappelle par certains traits et fonctionnalité les Agadirs, greniers collectifs, du sud du Maroc.
Des similitudes d’évolution entre les oasis maghrébines existent et nous rappellent tout l’intérêt du comparatisme. En écoutant le paysan de Toujane deviser sur les temps présents et leurs tourments, je crois entendre un de nos paysans marocains, si ce n’est l’idiome utilisé. Au centre de ses lamentations, les rapports intergénérationnels tendus, la ritournelle sur la décadence des mœurs et l’abandon des valeurs sociales anciennes, accusés d’être la cause de l’absence de pluies et la disparition de la baraka divine.
Mais des notes d’optimisme, certes rares, nous ont réjouis comme ces parcelles ou Ghaba encore bien entretenues dans Chenini grâce à l’eau du sondage, bien que trop insuffisante, signe d’une résistance livrée par quelques chevronnés, ou ce miel sorti de nulle part que ce paysan de Toujane nous a fait gouter.