La crise alimentaire actuelle ;
Ou quand la guerre en Ukraine rappelle la dépendance alimentaire structurelle de la Tunisie

Habib Ayeb1

Ma mère, née au début des années 1910 et partie il y a déjà un peu plus de trente ans, détestait le Riz. Ça lui rappelait « ‘aem errouz » ou l’année du Riz. Elle faisait référence à la période de la grande sécheresse des années 1940 (1939-1947) pendant laquelle l’armée allemande a procédé à la distribution de riz pour limiter l’ampleur de la famine qui sévissait dans la région du Sud-est en espérant certainement obtenir la collaboration de la population locale, isolée et privée de nourriture par la sécheresse mais surtout par les politiques de l’époque qui ne voyaient cette région que comme source d’ennuis et lieu de rébellions. Nous savons que toutes les grandes famines dans le monde relèvent davantage des conséquences des politiques dominantes que des effets directs des aléas climatiques. Les famines sont plus du fait des « princes » que du ciel. Ma mère, qui n’était jamais allée à l’école, disait toujours « echkoun metlaftelna… ? » (qui s’intéresse à nous ?) pour déplorer l’absence des services et des aides de l’Etat (à l’époque coloniale et même après l’indépendance).

Les crises ont généralement l’avantage d’être des évènements révélateurs de problèmes ponctuels ou structurels minorés ou sous-estimés jusqu’au jour où une étincelle embrase la situation et force l’attention des observateurs et des décideurs.

Dans les années 1940, l’étincelle a été la longue sécheresse qui a très fortement réduit les productions agricoles et décimé des troupeaux entiers. Comme l’écrivait Lepidi (1955) « Au cours de la sécheresse des années 1940, la production du blé dur diminue de 45 à 60 % par rapport à celle de la fin des années 1930 (normale à bonne sur le plan pluviométrique), la chute de la production de l’orge a été de 50 %. La production de l’huile d’olive en 1947 chute de 78 % par rapport à celle de 1939. Les pertes dans le secteur de l’élevage sont énormes, l’état de misère physiologique des animaux sont à l’origine de nombreux avortements, de différents types de fièvre et d’une forte mortalité. Le nombre de têtes d’ovins passe de plus de 3 670 000 au début des années 1940 à 2 976 000 en 1945 et 1 587 000 en 1948 »2 . Ainsi en l’absence de soutien des autorités pendant la période coloniale française3, les régions isolées et pauvres, notamment dans le Sud-est, ont connu des situations extrêmement difficiles.

Depuis la grande sécheresse des années 1940, les aléas climatiques, entre longues sécheresses et inondations catastrophiques, ont jalonné l’histoire récente du pays en parallèle avec d’autres « aléas » politiques, géopolitiques et économiques qui n’ont pas eu moins d’impacts sur la vie quotidienne des gens et la situation générale du pays. C’est le cas actuellement, avec la récente crise géopolitique en Ukraine qui a pris la forme d’une guerre ouverte avec l’armée russe qui est entrée dans ce pays depuis le 24 février dernier4. En situation de guerre, l’Ukraine, considérée comme le « grenier de l’Europe » en exportant des quantités considérables de céréales, notamment de blé, dans le monde entier et qui assurait environ 80 % des importations tunisiennes en céréales, n’est plus en mesure d’honorer ses contrats avec les pays tiers. La réaction du marché mondial de céréales ne s’est pas faite attendre et les prix de ces produits alimentaires de base ont grimpé en flèche en à peine quelques jours. Le prix de la tonne de blé sur le marché mondial est ainsi passé d’environ 400 dollars américains la tonne à presque 600 dollars la tonne5. Soit une augmentation de plus de 50% et tout laisse croire que le plafond des prix du blé est loin d’être atteint. Ainsi, non seulement le principal pays fournisseur n’est plus en capacité d’assurer ses exportations, mais la hausse des prix moyens sur le marché mondial réduit sérieusement les capacités d’achat de la Tunisie qui doit trouver les budgets nécessaires et de nouveaux fournisseurs qui n’hésitent pas à spéculer sur les stocks mondiaux et sur les prix. Les conséquences de cette situation sur la Tunisie ont été quasi-immédiates : En à peine quelques jours, la Tunisie s’est trouvée face à une véritable crise alimentaire provoquée par un évènement géopolitique international majeur.

Le résultat est une pénurie de plusieurs produits alimentaires de base (farine, semoule, œufs, huiles subventionnées…,) et une augmentation dangereuse des prix qui viennent s’additionner, à la veille du ramadhan, aux nombreuses difficultés économiques et donc sociales croissantes dont souffre, depuis plusieurs années déjà, le pays fortement endetté et déserté par les investisseurs et les touristes. La pauvreté atteint des niveaux records et le chômage massif touche une grande partie des jeunes, y compris les jeunes diplômés. La crise est donc multidimensionnelle et très complexe.

La majorité des tunisien.ne.s de plus quarante ans et même les plus jeunes (par transmission orale ou écrite) se souviennent des émeutes du pain de 1984 quand le pays a failli s’enflammer, suite à la décision du gouvernement tunisien de l’époque, fortement poussé et encouragé par les IFI, de réduire drastiquement les subventions aux produits alimentaires de base provoquant une augmentation brutale des prix. Pendant quelques jours, en janvier 1984, les manifestations avaient envahi les rues des grandes villes du pays et provoqué des heurts d’une grande violence entre les manifestants et les forces de sécurité. Il a fallu tout le courage et le leadership du président Bourguiba qui n’a pas hésité à désavouer publiquement son gouvernement et a exigé le retour aux prix prévalant à la veille des émeutes, pour que le calme revienne6. Aujourd’hui tous les ingrédients sont réunis pour un « remake » des évènements de 1984, d’autant plus que la crise arrive à la veille du Ramadhan pendant lequel la demande augmente d’une manière quasi-automatique et les « nerfs » des consommateurs sont fortement mis à l’épreuve. Mais même si l’hypothèse d’une explosion imminente de nouvelles « émeutes du pain » n’a rien d’une fatalité, le contexte politique et social n’ayant presque rien en commun avec celui des années 1983-1984, les autorités publiques doivent agir en urgence pour éviter l’aggravation de la situation.

Certain.e.s n’hésitent pas à jouer sur la peur légitime d’une partie de la population et essaient de faire croire que le pays est menacé par une famine imminente7. C’est, au mieux, de l’ignorance totale des enjeux internes et externes et, au pire, une manœuvre de manipulation politicienne avec des objectifs politiciens à la fois connus et détestables. Soyons donc précis et clairs : La Tunisie ne court aucun risque de connaître une situation de famine ne serait-ce que parce qu’une telle situation risquerait de se transformer en un grand foyer de déstabilisation régionale tant au sud qu’au nord de la méditerranée : troubles, violences, exode et des vagues de migration irrégulière à travers les frontières terrestres et par la mer vers les côtes nord. Face à de tels risques, les puissances occidentales et les pays voisins, tels que l’Algérie, ne peuvent pas permettre un nouvel incendie à leurs frontières et feront tout pour l’éviter. Certes, nous ne verrons pas des militaires Allemands revenir avec leurs sacs de riz comme dans les années 1940, mais un risque de famine déclencherait automatiquement une mobilisation internationale pour acheminer des aides alimentaires directes ou indirectes. Mais le prix à payer serait extrêmement élevé : une perte totale de la souveraineté du pays.

Toutefois, si le risque de famine me semble totalement exclu, la crise risque de durer longtemps et peut se reproduire avec chaque grand évènement géopolitique, économique ou climatique. Quand on dépend des autres pour se nourrir, comme c’est le cas de la Tunisie, on est automatiquement soumis non seulement à leurs choix et stratégies mais aussi aux conséquences directes ou indirectes de leurs propres difficultés et crises. Par conséquent, ce qu’il faut observer et analyser pour apporter des réponses à la crise actuelle, n’est pas tant ses sources et origines immédiates (très courts termes), mais ses origines structurelles et profondes (les moyens et longs termes).

Le graphique et le tableau ci-dessous, fournissent un éclairage assez précis de l’ampleur de la dépendance alimentaire de la Tunisie et surtout son aggravation avec le temps.

Tableau 1. Le Blé (dur et tendre) en Tunisie 1961-2019

Population Totale (million)

Surfaces (ha)

Production (millions Tonnes)

Rendements KG/ha

Importations (millions Tonnes)

1961

4,238141

850000

0,465

5471

0,366894

1965

4,547941

1000000

0,800

8000

0,179118

1970

5,063805

900000

0,519

5767

0,425820

1975

5,656912

950000

0,935

9842

0,249421

1980

6,37404

853000

0,869

10188

0,648408

1985

7,32959

1033000

1,380

13359

0,487013

1990

8,24251

882000

1,122

12721

0,897618

1995

9,12540

415350

0,531

12780

1,652381

2000

9,708347

718000

0,842

11727

1,385025

2005

10,106778

961500

1,627

16918

1,132924

2010

10,635245

434400

0,822

18923

1,914864

2015

11,179951

652530

0,913

13985

1,953860

2019

11,694721

643000

1,440

22395

1,848993

Sources : Banque Mondiale pour la population et FAOSTAT

En prenant le point de départ en 1961 avec une base 100 pour l’ensemble des indicateurs (selon les données8 disponibles sur les sites internet FAOSTAT et celui de la Banque mondiale), on constate un écart (particulièrement visible pour la période entre le milieu des années 2000 et 2019) assez considérable entre la croissance de la population pendant toute la période, particulièrement à partir de l’année 1978, et les importations de blé9. Pourtant, on sait que la consommation moyenne de blé et de céréales10 par personne a très fortement baissé pendant les trente dernières années. L’écart prouve qu’une grande partie des importations n’est pas prioritairement destinée à la consommation humaine… Sachant que la production suit globalement la croissance de la population, avec des variations importantes principalement dues aux aléas climatiques, la question de l’écart entre les importations qui augmentent et les besoins réels, qui sont proportionnellement en baisse, reste entière. Une première piste d’explication pourrait être le fait qu’une partie du blé importé est perdue à cause des mauvaises conditions de stockage, alors qu’une autre partie est utilisée dans la fabrication des composants alimentaires (le concentré) destinés aux élevages intensifs11 qui se sont fortement développés pendant la même période (depuis les années 1960). On peut aussi se demander, assez légitimement, si ces écarts ne dévoilent pas en réalité des spéculations commerciales qui touchent soit les déclarations douanières des quantités importées soit les circuits de commercialisation en aval.

Après les céréales, les huiles végétales constituent le second poste d’importations alimentaires avec en moyenne 20 à 24 % de l’ensemble de ces importations. Pourtant, la Tunisie est le deuxième producteur mondial et l’un des tous premiers exportateurs mondiaux d’huile d’olives. Mais, dans la logique de l’export/import sensée assurer la sécurité alimentaire nationale, les décideurs préfèrent continuer à poursuivre la politique qui remonte aux années 1960 et qui consiste à exporter l’huile d’olive produite localement, et à importer d’autres huiles (souvent appelées zeit elhakem ou l’huile du gouvernement) de qualités nutritives et gustatives très médiocres et vraisemblablement pas étrangères aux divers problèmes de santé que connaît le pays (obésité, cholestérol, etc.,).

Par ailleurs, la politique agricole suivie depuis des décennies est aussi largement à l’origine de l’appauvrissement généralisé de la paysannerie qui se trouve obligée à produire davantage pour le marché que pour sa propre consommation et à pratiquer la pluriactivité comme unique moyen pour compléter ses revenus et échapper, tant soit peu, à la pauvreté absolue. Deux éléments en témoignent : La part de l’autoconsommation de produits alimentaires d’une exploitation agricole et l’injustice foncière qui pénalise les plus petits paysans.

Selon les données de l’INS, citées par Jouili M (2008, 109)12, la part moyenne de l’autoconsommation de produits alimentaires d’une exploitation agricole est passée d’au moins 25,5 en % 197513 à 2,5 % seulement en 2000 pour les céréales, de 42,7 % à 15,1 % pour le lait, de 19,1 % à 4,4 % pour les viandes, de 37.8 % à 29,3 % pour l’huile d’olive, de 9,7 % à 4 % pour les légumes frais et, enfin, de 15 % à 2,4 % pour les fruits. D’un autre côté, il est significatif de noter que les ayant moins de 5 hectares en 2004-200514 représentaient 54 % des exploitants et producteurs agricoles mais ne disposaient que de 11 % de la terre agricole totale, avec une moyenne de 2 hectares par exploitant. En même temps ceux disposant de plus de 100 hectares constituaient pour la même année 1 % du nombre total et disposaient de 22 % de la surface agricole totale15.

Ce n’est certainement pas avec une paysannerie appauvrie et dépossédée et privée d’accès suffisant et juste au foncier agricole (sans oublier les autres ressources naturelles et matérielles), qu’on peut assurer l’autosuffisance alimentaire, particulièrement en matière de céréales. Ceci est d’autant plus vrai que, contrairement à ce que la pensée libérale dominante fait croire, les grands possédants fonciers qui sont les acteurs clefs de l’agrobusiness préfèrent produire pour les marchés internationaux auxquels ils réservent autour de 80% de leur productions (surtout des hors saisons et des primeurs) plutôt que pour le marché local et national. Pour eux, l’accumulation des profits et du capital prime largement sur la sécurité alimentaire de la population et la souveraineté alimentaire du pays. Non seulement, ils ne produisent pas pour nourrir la population mais ils exportent des volumes considérables d’eau sous forme de divers produits agricoles à l’étranger, alors même que plusieurs régions du pays en manquent dramatiquement. C’est pourtant à eux que l’Etat réserve l’essentiel des aides financières et administratives allouées au secteur agricole.

Ceci est le produit des politiques néolibérales mises en place à partir des années 1980 avec l’implantation des programmes d’ajustements structurels dans l’agriculture (PASA) en 1986 et la néo-libéralisation progressive du secteur agricole, la privatisation des ressources naturelles, dont l’eau et la terre, et les divers mécanismes de soutiens et d’aides généreusement accordées par l’Etat au secteur de l’agrobusiness. Les décideurs justifient depuis longtemps ces politiques basées sur le développement d’une agriculture industrielle, intensive et orientée vers l’export par la nécessité d’obtenir des devises étrangères pour couvrir les importations alimentaires et d’autres produits nécessaires. Dans cette logique libérale et techniciste, aucune place n’est laissée aux divers risques que des crises géopolitiques externes peuvent engendrer sur l’accessibilité des marchés internationaux pour les économies dépendantes, comme c’est le cas aujourd’hui avec la crise ukrainienne. Ni les « émeutes du pain » des années 1980, ni la crise alimentaire mondiale de 2007-2008, ni encore les embargos imposées ces dernières années par les puissances occidentales à l’Irak, le Soudan, la Syrie, la Libye et, plus récemment, au Venezuela… n’ont servi de leçons aux décideurs tunisiens. Cet aveuglement irresponsable est le produit de la volonté des décideurs, tant à l'époque précoloniale que coloniale et depuis l'indépendance, d'intégrer l'agriculture tunisienne au marché mondial et au système alimentaire mondial (Friedmann Harriet 2005 & 2016 ; Friedmann Harriet, McMichael Philip 1989). C’est dans les logiques et les mécanismes du système alimentaire mondial que se trouvent les facteurs principaux de la dépendance alimentaire du pays et, par conséquent, son exposition permanente aux diverses conséquences des crises géopolitiques et économiques. C’est donc dans une logique de rupture et de déconnexion ou delinking16 qu’il faut imaginer de nouvelles politiques agricoles garantes de la souveraineté et de la sécurité alimentaires.

Des pistes pour une politique de souveraineté alimentaire : Changer radicalement de paradigme.

Une politique de souveraineté alimentaire nécessite du courage politique, une vision claire, une planification rigoureuse et ambitieuse, du temps et de la cohérence politique, économique, sociale et écologique. Construire un tel projet ne peut se faire en un temps trop court et sans une démarche pluridimensionnelle, dont la première étape doit être un véritable débat de société. En effet, un tel projet est trop important pour qu’il soit imposé verticalement (top-down) par l’Etat à l’ensemble de la société. En attendant que le débat soit ouvert, voici quelques propositions pour un débat serein qui ne doit plus tarder à s’ouvrir :

Mesures urgentes :

  1. Déclarer immédiatement l’état d’urgence alimentaire ;

  2. Inciter, dès aujourd’hui et par tous les moyens possibles, l’ensemble des producteurs agricoles du pays à s’orienter vers la production de céréales. A titre d’exemple, les prix des céréales à la récolte doivent être augmentés en urgence absolue pour pallier les effets directs de la crise actuelle ;

  3. Suspendre pendant un certain temps toutes les importations de produits agricoles non alimentaires (tout ce qui se consomme n’est pas toujours alimentaire) afin de réserver les ressources financières disponibles à l’acquisition des produits alimentaires indispensables, dont les céréales ;

Mesures à moyens et longs termes :

  1. Réduire drastiquement les exportations des produits agricoles issus de l’agriculture irriguée afin de préserver les ressources hydrauliques au profit des productions alimentaires « nationales ». Pour cela, plusieurs outils peuvent/doivent être mobilisés : incitations et compensations, taxes douanières, infrastructures de stockage et de transport ;

  2. Transférer les budgets réservés actuellement à l’aide aux exportations agricoles, au profit des petits paysans dans le cadre d’accords individuels (familles paysannes) : liant les financements à la qualité et au volume de production des produits alimentaires destinés au marché local et aux pratiques de protection des ressources naturelles (la terre et l’eau) et de la biodiversité ;

  3. Réduire les élevages intensifs, grands consommateurs d’intrants et de céréales, souvent importés et l’interdiction totale des élevages en stabulations fixes ;

  4. Mettre en place une réforme agraire qui fixe une taille minimale et un plafond des propriétés agricoles en fonction de la qualité des sols, de la pluviométrie moyenne locale et de la disponibilité d’eaux souterraines mobilisables. Une telle réforme peut être mise en place, après études et débats, sur une période de cinq à dix ans ;

  5. Établir l’égalité de l’héritage foncier entre les hommes et les femmes dans le respect de la taille minimale des propriétés ;

  6. Redistribuer rapidement les terres agricoles de l’Etat au profit des petits paysans, des enfants de paysans, des chômeurs avec obligation de formation préalable, aux jeunes ayant une formation agricole ;

  7. Favoriser, encourager et valoriser les pratiques de l’agroécologie : engrais et pesticides non chimiques, semences locales, diversification des cultures, élevages extensifs et pastoralisme, méthodes traditionnelles de stockage… et circuits courts ;

  8. Adoption rapide de la règle du « pollueur-payeur » dans l’agriculture ;

  9. Limiter les subventions des produits alimentaires exclusivement aux productions nationales (produits en Tunisie) ;

  10. Améliorer radicalement les conditions du travail agricole salarié : contrats, salaires minimums garantis, temps de travail, transports, sécurité sociale,…

  11. Annuler, dans un délai raisonnable, tous les accords de libres échanges avec l’Europe et les autres puissances économiques et exiger des renégociations, en fixant aux négociateurs tunisiens des lignes rouges infranchissables ;

  12. Développer des échanges égaux avec des partenaires du grand Sud, en commençant par les pays nord-africains et sub-sahariens.

Il a fallu une guerre (Russie-Ukraine) pour qu’une conscience collective des risques de la dépendance alimentaire commence à se développe en Tunisie. Soyons à la hauteur et n’attendons pas une prochaine grande crise d’envergure mondiale pour agir. Il en va de notre souveraineté politique et des droits de l’ensemble de la population et des générations futures à une vie digne.

Notes :

1 Habib Ayeb est géographe, actuellement chercheur à l’Observatoire de la Souveraineté Alimentaire et de l’Environnement, dont il est membre fondateur. Il est aussi réalisateur de films documentaires.

2 Lepidi Jules 1955. « L' économie tunisienne depuis la fin de la guerre ». Service tunisien des statistiques. Tunis. Imprimerie Officielle de la Tunisie. Cité par Latifa Hénia « Les grandes sécheresses en Tunisie au cours de la dernière période séculaire ». https://books.openedition.org/enseditions/863?lang=fr

3 La colonisation française avait duré de 1881 à 1956. Mais comme le statut officiel du pays était « un protectorat », il y avait un semblant d’une autorité tunisienne dirigée par le Bey, mais totalement soumise au pouvoir colonial.

4 « La Russie est le premier vendeur de blé au monde, tandis que l’Ukraine est le cinquième. Tous deux fournissent 19 % de l’orge, 14 % du blé et 4 % du maïs du monde, et vendent 52 % de l’huile de tournesol ». https://news.un.org/fr/story/2022/03/1116152

5 Ces prix correspondent aux offres reçus par la Tunisie en réponse à des appels d’offre « achats de blé » émis par le gouvernement tunisien. Ils incluent le prix d’achat du blé plus le transport jusqu’aux ports tunisiens. Les prix moyens sur le marché international sont plus mouvants dans les deux sens.

6 Ayeb Habib, Bush Ray 2019, Food Insecurity and Revolution in the Middle East and North Africa. Agrarian Questions in Egypt and Tunisia. Anthem Press, London.

7 Lors d’une manifestation organisée par le parti destourien libre (PDL) le 13 mars 2022, en présence de sa présidente Abir Moussi, de nombreux manifestant.e.s avaient brandi des pancartes sur lesquels on pouvait lire «la famine est à nos portes». Le thème du risque a été repris par plusieurs médias et réseaux sociaux.

8 A quelques exceptions près, les données disponibles sur les deux sites sont pratiquement identiques aux données officielles fournies par le gouvernement tunisien.

9 Rappelons que les tunisien.ne.s vivant à l’étranger sont compté.e.s dans le nombre total de la population du pays et donc dans les statistiques de la croissance démographiques. Si l’on considérait uniquement les « résident.e.s » en Tunisie, on verrait que l’écart entre la croissance de la population et les importations alimentaires est encore plus important.

10 La consommation de céréales en Tunisie aurait baissé 204.4 kg/personne/an en 1985 à 174,3 kg/personne/an en 2015 (Khaldi Raoudha et al., 2016, 7).

11 En plus des céréales importées pour fabriquer du concentré alimentaire pour les élevages intensifs, il y a aussi le pain non consommé (les restes) qui est donné aux animaux (petits et moyens élevages) comme complément alimentaire.

12 Jouili Moustapha, 2008. Ajustement structurel, mondialisation et agriculture familiale en Tunisie. Thèse de doctorat en économie. Université De Montpellier 1, Montpellier.

13 Plusieurs sources estiment que les taux officiels de l’autoconsommation dans les exploitations agricoles pendant les années 1960-1970 étaient très largement sous-estimés.

14 En l’absence de recensements agricoles en Tunisie, qui est une aberration inexplicable, les seules statistiques relativement utilisables sont celles fournies par les enquêtes des exploitations agricoles réalisées par le ministère de l’agriculture à intervalles de 10 ans, depuis les années 1960. La dernière enquête disponible de date de 2004-2005.

15 Aucune autre enquêté n’a été réalisée depuis 2004-2005, mais un recensement systématique, le premier de l’histoire du pays, serait en cours actuellement. Les résultats ne seront pas connus avant la fin de 2022 ou le début de l’année 2023.

16 AMIN, Samir. 1989. Delinking : Towards a Polycentric World. London (Engl.), Zed Books Press, 210p.