La Parole Aux Paysan.ne.s – Compte Rendu

Ce texte est une revue courte de la Journée « La Parole Aux Paysan.ne.s » organisée par l’Observatoire de la Souveraineté Alimentaire et de l’Environnement

À l’occasion de la Journée Mondiale Des Luttes Paysannes, l’observatoire de la souveraineté alimentaire et de l’environnement – OSAE – a organisé le 16 Avril 2019 à l’hôtel Majestic–Tunis une Journée spéciale intitulée « La parole Aux Paysan.ne.s »

Cette initiative avait pour but de créer un espace de parole libre, dédié aux paysannes et paysans, où ils peuvent exprimer leurs problèmes, leurs luttes et les défis qu’ils relèvent chaque jour. Nous avons voulu par cette initiative rompre avec l’image prépondérante qui stigmatise les ruraux en général et les paysan.ne.s en particulier et discrédite le travail qu’ils fournissent, leurs idées et surtout leur apport énorme à la souveraineté alimentaire.

Une vingtaine de paysan.ne.s venant de Jendouba, Msaken, Zaghouan, Manouba, Gaafour et de Mjez Elbeb, ont répondu à notre appel, ainsi que des activistes et des d’étudiant.e.s de plusieurs spécialités : sciences politiques, économiques et agronomiques.

Projection du film « Couscous ; Les Graines De La Dignité »

Le séminaire a commencé par la projection du film « Couscous ; Les Graines De La Dignité » de Habib Ayeb, qui aborde plusieurs thématiques centrales dont celle des semences locales et leur place dans le production agricole ainsi que l’exposition de la paysannerie aux mécanismes économiques mondiaux… à travers des témoignages paysans. Un film où le réalisateur suggère un modèle de souveraineté alimentaire en retraçant les différentes étapes de la production du couscous de la semence au plat. Ce processus commence par la sélection des semences locales reproductibles à l’opposé des semences hybrides qui occupent une grande place sur le marché et se poursuit avec la préparation du sol, l’emblavement, le suivi de la culture et, enfin, la récolte… En fin le réalisateur du film expose les différentes contraintes et difficultés que rencontrent les paysan.ne.s dans leur travail.

Plusieurs paysan.ne.s qui témoignent dans le film étaient présents à la projection, qui a regroupé plus de 80 personnes, d’où une forte émotion dans la salle. La discussion et le débat qui l’ont suivie ont abordé principalement les thématiques tournant autour de l’agriculture et du milieu agricole. Pendant ces riches échanges entre paysan.ne.s, la discussion a porté sur ce qui leur semblait comme des difficultés majeures.

Pendant trois heures nous avons assisté à des échanges très riches sur l’agriculture, la fertilité de la terre, la difficulté d’accès à l’eau, au crédit agricole, aux produits phytosanitaires et engrais, aux semences et variétés locales.

L’eau… Quel ordre de priorité ?

La majorité des intervenants ont insisté sur la place centrale de l’eau dans les systèmes de productions et notamment dans les petites exploitations agricoles selon leurs positions géographiques et les cultures et productions. « En général en Tunisie les grandes cultures reposent sur les conditions climatiques et dans ce contexte de changements climatiques actuels et de rareté hydraulique et on a du mal à réussir la saison agricole » déclare Fathi Rouiss, un participant à la journée, agriculteur céréalier à El-Knayess dans la région de Msaken, affirmant que l’agriculture pluviale est menacée par les conséquences des changements climatiques.

De son coté Zakariya Hachmi, paysan de l’oasis de Chenini à Gabes, a souligné la problématique de l’accès à l’eau pour les petits agriculteurs et aussi la gestion « inégalitaire » de l’eau par l’état : « …en été je ne peux pas travailler parce que je ne peux irriguer qu’une fois tous les 40 jours… Qu’est-ce que je pourrais produire avec ça ? » avant d’ajouter en direction de l’Etat « tu n’assume pas tes obligations en ne me donnant pas accès à l’eau d’irrigation ».

Hosni Ghanay, agriculteur de la région de Jendouba, a parlé des grandes difficultés pour obtenir des subventions pour creuser les forages, voire de ne pas accorder facilement les autorisation de les réaliser, que les investisseurs obtiennent pour réaliser des sondages profonds.

Pour AbdelKarim Barakati, agriculteur de la région de Gaafour, « l’état impose aux petits agriculteurs de payer une facture mensuelle fixe pour l’eau d’irrigation même pendant les saisons pluviales où on n’irrigue pas ».

Politiques agricoles injustes : « Il faut créer un ministère de défense agricole »

Les politiques agricoles tunisiennes favorisent les investissements agricoles et la monoculture, très exigeantes en eau, grâce à des mécanismes législatifs qui resserrent l’étau sur les petits agriculteurs et les paysans et sur la petite agriculture familiale. Ces mécanismes touchent aussi bien le foncier que l’utilisation obligatoire de semences hybrides, des pesticides et des engrais chimiques et l’accès à l’information et aux conseils techniques.

Selon Lassad Ben Salah, agriculteur à Manouba, « L’importation des semences hybrides et des plants d’arbres favorise la disparition rapide des semences et des variétés locales qui sont un véritable patrimoine national et nous met à la merci des vendeurs de poison ». De son coté Mohssen Kalboussi, activiste et universitaire, rappelle que « les variétés importées ne sont pas adaptées à notre climat et notre environnement et sont donc plus sensibles aux maladies et nécessitent plus d’engrais et d’eau que les variétés et espèces locales ».

En résultat, ces diverses politiques ont appauvri et marginalisé les paysan.ne.s, selon Hosni Ghnay « Moi je ne dit pas ‘petit agriculteur’, mais ‘agriculteur pauvre’ »… « 80% des agriculteurs tunisiens sont des paysan.ne.s et des centaines de milliers de familles vivent de l’agriculture familiale ». « Si ces politiques se maintiennent, les paysans mourront de faim ou seront contraints de quitter l’agriculture et le milieu rural ».

Face à l’ensemble des risques et politiques anti-paysannes Fathi Rouis propose de transformer le ministère de l’agriculture en un Ministère de Défense Agricole chargé notamment de la protection de la biodiversité et du soutien des paysans contre l’agrobusiness.

De l’appauvrissement à l’exclusion :

Les intervenant ont aussi abordé la question de la disponibilité de la main d’œuvre agricole que Esayda Bjaoui, agricultrice de la région de Mjez Elbeb, a appelé « le plus grand problème aujourd’hui ».

Lassad Ben Salah a expliqué ce phénomène par la hausse du coût de production due au système de production agricole : « les jeunes qui travaillent chez d’autres et commencent leurs propres projets avec un ou deux hectares se trouvent obligés de dépenser leur argent pour acheter des poisons (produits phytosanitaires) sans rien gagner, en retour. Ainsi, ils finissent par abandonner et préfèrent passer leur temps au café à ne rien faire »… « En fait, ils sont face à un choix unique entre reproduire la vie de misère de leurs parents ou travailler comme journaliers avec de faibles revenus et sans couverture sociale. Souvent ils finissent par emprunter les chemins de l’exode »… « l’occident veut nous appauvrir et nous affamer afin que nos enfants migrent et aillent cueillir les tomates chez eux ».

D’après Hosni Ghaney, « nos jeunes migrent vers Tunis ou d’autres villes, où ils sont stigmatisés et considérés comme des bandits et des criminels ».

La réticence des petits agriculteurs et surtout des plus jeunes d’entre eux à continuer dans l’agriculture est une alerte que rappellent les paysans et paysannes induite par les politiques de marginalisation et d’exclusion.

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